Ouverture des Etats Généraux du royaume – 5 mai 1789 –Tableau d'Auguste Couder 1839 – Musée de l’Histoire de France Versailles
LE DEPUTE AUX ETATS GENERAUX : MAI 1789
La députation du Tiers Etats d'Artois comprend trois avocats, deux rentiers et trois cultivateurs. Dès son arrivée à Versailles, c'est à ces trois derniers que Robespierre va se joindre (1).
La cérémonie d'ouverture des Etats Généraux a lieu le 5 Mai, en présence du roi Louis XVI*. Tout a été prévu pour que l'opinion soit frappée par le caractère exceptionnel de cet événement. Aucun détail n'a été négligé pour que les trois ordres soient exactement à la "place" qui leur revient. Les douze cents députés, le Roi, la Reine et toute la Cour remontent, en procession, les larges avenues de Versailles qui vont du Château à la Cathédrale Saint-Louis.
En tête du cortège, avancent les cinq cent cinquante députés du Tiers Etat, vêtus de noir. Parmi eux, près de trois cents magistrats, avocats ou hommes de loi. Derrière les députés du Tiers, dans leur costume triste, suivent, à distance, les députés de la noblesse en habits multicolores, épée au côté, chapeaux à plumes.
Enfin, le Clergé, au sein duquel on distingue une trentaine de prélats vêtus de leurs robes violettes ou pourpre, suivis, également à distance, par près de deux cents curés, dans leur habit noir de prêtres.
On remarque que les vivats de la foule, massée sur le parcours, s'adressent plutôt aux représentants du Tiers... Quelques applaudissements tout de même pour Philippe d'Orléans et pour le Roi, mais beaucoup moins pour la Reine !
Les quelques jours qui suivent cette cérémonie permettent aux nouveaux Députés de faire connaissance. Pendant cette période Robespierre rencontre Mirabeau* et, en très peu de temps, une sorte d'entente durable s'installe entre les deux hommes. Pourtant, les premières impressions de Maximilien sur Mirabeau* n'étaient, pour le moins, pas très favorables. Dans une lettre à son ami Buissart, datée du 18 Mai 1789, il dit en effet du Député d'Aix :
« Le Comte de Mirabeau est nul, parce que son caractère moral lui a ôté toute confiance...... » (2)
Robespierre appartient à l'élite de l'Assemblée mais, parmi cette élite, il est loin d'occuper les premières places. Certains comme Mirabeau*, Barnave ou Sieyès, ont une renommée qu'il n'a pas. La tribune est donc occupée, au moins au cours des premières séances, par ces ténors. Les interventions de Maximilien sont parfois remarquées mais en général très brèves et d'importances inégales. Il laisse cependant déjà entrevoir les principaux traits de son caractère.
Ainsi, quelques jours après « le Serment du Jeu de Paume » (3), alors que les trois Ordres, non encore réunis, sont toujours dans des discussions interminables, l'Archevêque d'Aix monte à la tribune et lance aux Députés du Tiers un appel émouvant pour tenter de les faire céder. Présentant à l'Assemblée un morceau de pain noir, il conjure les Députés de ne plus résister afin que les « mesures les plus urgentes destinées à parer la misère du peuple et la disette puissent enfin être votées ».
Le prélat a tout juste terminé son discours que Robespierre le remplace à la tribune et lui fait une réponse cinglante qui va emplir de joie à la fois le public et ses collègues du Tiers :
« Allez dire à vos collègues qu'ils ne retardent pas plus longtemps nos délibérations par des délais affectés. Ministres d'une religion sublime fondée sur le mépris des richesses, qu'ils imitent leur divin Maître et renoncent à un étalage de luxe blessant pour l'indigence. »
« Les anciens canons portent que l'on pourra vendre les vases sacrés pour soulager les pauvres, mais il n'est pas besoin d'en venir à une si triste ressource : renvoyez vos laquais orgueilleux, vendez vos équipages superbes, vos meubles somptueux, et de ce superflu contraire aux traditions des premiers chrétiens, faites aux malheureux d'immenses aumônes ... » (4)
Serment du Jeu de Paume – 20 juin 1789 par David
Dans cette brève réponse improvisée, on reconnaît déjà les talents de Maximilien. Il a encore des progrès à faire pour devenir l'orateur brillant que nous connaîtrons, mais il sait déjà trouver les mots justes !
La politique le passionne de plus en plus, mais il éprouve tout de même encore quelques difficultés à analyser les situations dans une période de l'histoire où les choses évoluent extrêmement vite.
Que d'événements, en effet, depuis l'ouverture solennelle du 5 Mai et cette réunion de l'Assemblée plénière des trois ordres du 23 Juin au cours de laquelle le Roi, une nouvelle fois, va précipiter sa propre chute. Louis XVI* accepte bien le consentement de l'impôt et des emprunts par les Etats; il admet la liberté de la presse; il espère bien que les privilégiés se rallieront au principe de l'égalité fiscale, mais il se refuse à abandonner "sa" noblesse. C'est pour cette raison qu'il impose, ce jour là, d'un ton cassant et hautain, aux députés de siéger par ordre et qu'il menace de dissolution si le Tiers continue à vouloir imposer le vote par tête.
Les représentants du Tiers Etats restent à leur place, après le départ du Roi, tandis que les membres du clergé et de la noblesse se retirent dans les salles affectées à leur ordre.
Les phrases célèbres prononcées par Mirabeau* et Bailly (5) traduisent la révolte ouverte du Tiers contre l'autorité de Louis XVI* (6).
Ce 23 Juin marque bien la fin de l'absolutisme. Le 24, la majorité du clergé vient siéger avec le Tiers; le 25, ce sont 47 représentants de la noblesse qui rejoignent l'Assemblée nationale; le 27, le Roi cède sous la pression et invite « son fidèle clergé et sa fidèle noblesse » à se joindre au Tiers. La monarchie capitule !
Le 7 Juillet, les députés, enfin réunis, décident de prendre le titre d'Assemblée nationale Constituante et forment un « Comité de Constitution ».
Mais, si le Roi a cédé, son entourage et notamment ses deux frères et bon nombre de courtisans, ne peuvent se résoudre à la défaite. En quelques jours, des troupes sont massées dans la région parisienne. Vingt, puis trente mille hommes sont appelés aux environs de Versailles dans le but, si l'on en croit la version officielle, de protéger les délibérations de l'Assemblée. Le bruit court aussitôt que le Roi, sous prétexte d'assurer sa protection, veut dissoudre l'Assemblée nationale par la force.
L'émotion gagne Paris dans une période où la population est déjà bien nerveuse car le spectre de la disette commence à se profiler. La capitale est sous pression et c'est le Roi, encore une fois mal inspiré ou mal conseillé, qui va mettre le feu aux poudres : le 11 Juillet il renvoie Necker tenu pour responsable des "désordres". Necker ! Celui que tout le monde considère comme le magicien ! Le seul, depuis très longtemps, qui a réussi à gagner la confiance du peuple; le seul que l'on croit capable de rétablir les finances ! La nouvelle est connue à Paris le 12 et, dès le lendemain, des cortèges se forment : c'est l'émeute !
Le vent de la Liberté souffle sur la France, et en particulier sur Paris. Les faubourgs grondent et pillent. C'est "l'émeute" du 14 Juillet à laquelle Robespierre ne prend, semble-t-il, aucune part. Au lendemain de la prise de la Bastille il donne son appréciation sur cette journée révolutionnaire :
« Quel est donc le bilan de cette émeute de Paris ? » demande-t-il, « La liberté publique, peu de sang répandu, quelques têtes abattues mais des têtes coupables. Quelle en est la conséquence ? » ajoute-t-il. « C'est à cette émeute que la Nation doit sa liberté. » (7)
MIRABEAU gravé par Hopwood d’après Raffet - 1847
L'analyse est effectivement claire et concise! On ne retiendra qu'une seule chose : Robespierre ne semble pas opposé à ce que quelques têtes soient abattues pour assurer la liberté de la Nation. Dans une lettre à son cher ami Buissart, il fait un reportage fidèle des événements qui ont secoué la France depuis ce fameux 14 Juillet :
« La Révolution actuelle, mon cher ami, nous a fait voir en peu de jours les plus grands événements que l'histoire des hommes puissent présenter. Il y a quelques jours, le despotisme et l'aristocratie déconcertés par la fermeté peut-être inattendue de six cents représentants du Tiers-Etat, réunissaient tous leurs efforts pour échapper par les derniers attentats à la ruine dont ils se croyaient menacés. Ils ne se proposaient rien moins que d'égorger la moitié de la nation pour opprimer et dépouiller l'autre, et de prendre ses représentants pour premières victimes! De là cette multitude innombrable de troupes rassemblées autour de Paris et de Versailles. Leurs sinistres projets achèvent d'éclater par le renvoi absolument imprévu de M. de Necker et des autres ministres, excepté le Garde des Sceaux et Laurent de Villedeuil; l'Assemblée nationale n'avait cessé d'adresser des députations au Roi, pour le presser de renvoyer les troupes dans leurs garnisons, et même pour demander l'établissement de gardes bourgeoises comme le véritable moyen d'affermir la paix publique que la présence des troupes ne pourrait que troubler. »
« Et tandis que le Roi ne faisait à toutes nos députations que des réponses négatives ou insignifiantes dictées par ses perfides conseillers, on tramait la conspiration la plus affreuse contre la sûreté des membres de l'Assemblée nationale; des comités continuels chez le Comte d'Artois, chez la Polignac et chez leurs adhérents, des conférences assidues avec les aristocrates les plus fougueux de la Noblesse et du Haut Clergé; des régiments allemands logés dans les jardins du château, caressés, régalés par le Comte d'Artois, par la Polignac et par la Reine, un train d'artillerie considérable déposé dans les écuries de la reine, une foule d'autres indices annonçaient trop clairement les coups que préparaient les ennemis de la patrie. Dans ces circonstances critiques, nous restâmes assemblés trois jours et trois nuits, pour être en état de prendre promptement les délibérations que les événements pourraient nécessiter. »
« L'Assemblée nationale n'opposa qu'une fermeté intrépide à l'audace et à la violence dont elle était menacée (..) »
« Cependant, Paris alarmé se préparait déjà à défendre la liberté publique contre les dernières entreprises du despotisme, le renvoi des ministres avait été le signal d'une insurrection générale, une armée patriotique de trois cent mille hommes, composée de citoyens de toutes les classes, à laquelle s'étaient joints les gardes françaises, des Suisses et d'autres soldats, semblait être sortie de terre par une espèce de prodige; déjà le peuple de Paris, maître de la Bastille, prise avec une célérité qui était un autre prodige, avait puni le Gouverneur de cette forteresse, et le prévôt des marchands, convaincu le premier d'avoir fait tirer le canon de la Bastille sur les députés des habitants qui étaient allés l'engager à faire disparaître l'artillerie qui du haut de ces tours menaçait la sûreté des citoyens, l'autre d'avoir trempé, avec les plus hauts personnages de la Cour, dans la conjurations formée contre le peuple; la terreur qu'inspire cette armée nationale prête à se rendre à Versailles décidé la Révolution. »
« Le lendemain du jour où nous avions reçu du château des réponses si satisfaisantes, le Roi vint tout à coup à l'Assemblée nationale, sans garde, accompagné de ses deux frères, lui déclarer qu'il se fiait à elle et qu'il venait invoquer ses conseils dans la crise funeste où se trouvait l'Etat. Cette déclaration fut reçue avec des applaudissements incroyables, et le monarque fut reconduit de la Salle nationale à son château avec des démonstrations d'enthousiasme et d'ivresse qu'il est impossible d'imaginer. » (8)
Prise de la Bastille 14 juillet 1789
Les bruits de la rue s’étant apaisés, au moins dans la capitale, c’est donc vers l’Assemblée que se tournent tous les regards. C’est là que vont se prendre les grandes décisions dans les jours qui viennent. Du moins, c’est ce que l’on croit !.. Déjà Robespierre se montre, à la tribune, tel qu'il sera pendant encore de longs mois : timide, parlant toujours sans hausser le ton de sa voix, mais ayant la volonté de convaincre, d'expliquer, avec obstination et surtout avec sérieux. Un sérieux qu'il va manifester très rapidement dans une Assemblée dont il voudrait bien modifier les règles de fonctionnement tant elle est désordonnée et indisciplinée : on rit, on s'interpelle, on interrompt l'orateur, on bavarde ! Robespierre, choqué par la légèreté de ses collègues, intervient à la tribune, dès le 28 Juillet, pour protester contre cet état de fait :
« D'aussi grands intérêts que ceux qui nous agitent me donnent le courage de vous proposer une réflexion que je crois nécessaire. Je demande qu'avant de délibérer on adopte un moyen qui satisfasse à la conscience, je veux dire d'établir une délibération paisible; que chacun puisse, sans crainte des murmures, offrir à l'Assemblée le tribut de ses opinions. Il faudrait donc ajouter au règlement quelques articles qui seraient conformes à ce que j'ai l'honneur de vous proposer... » (9)
Ce ne sont pas des murmures mais un tollé qui salue l'intervention de Robespierre. Mirabeau* tente bien de voler à son secours mais l'orateur ne parviendra pas, malgré ses efforts et malgré sa voix de stentor, à proposer les articles qu'il jugeait nécessaires à des débats plus sereins. L'Assemblée continuera donc à travailler dans le plus grand désordre, mais Robespierre apprendra vite à s'y faire entendre!...
En cette fin du mois de Juillet, ce sont surtout les violences de toutes sortes qui l'inquiètent; il va s'employer à les combattre et à les dénoncer. Ainsi, le 31 Juillet, il intervient contre la libération de Besenval, ex-commandant de Paris :
« Je réclame dans toute leur rigueur les principes qui doivent soumettre les hommes suspects à la Nation à des jugements exemplaires. Voulez-vous calmer le peuple ? Parlez-lui le langage de la justice et de la raison. Qu'il soit sûr que les ennemis n'échapperont pas à la vengeance des lois et les sentiments de justice succéderont à ceux de haine.. » (10)
Les explosions populaires dans les campagnes, mais surtout leur répression par les autorités, inquiètent le député d'Arras. Toutes ces violences, dont il comprend les causes, donnent, selon lui, des arguments aux députés les plus conservateurs de l'Assemblée : les Mounier (11), Barnave, Mirabeau* ou Lameth.
(1) Détail cité par Gérard WALTER "ROBESPIERRE" op. cit. page 73
(2) cité par Gérard WALTER, "Robespierre" , op. cit. page 74
(3) Le 20 Juin 1789. Le Tiers Etats se réunissait dans la salle des « Menus Plaisirs » à Versailles, mais le 20 Juin au matin, la salle est fermée soi disant pour la préparation de la séance royale fixée initialement au 22 Juin. Les Députés s'installent dans la salle du "Jeu de Paume" et s'engagent à ne jamais se séparer jusqu'à ce que la Constitution soit établie.
(4) cité par R.KORNGOLD "Robespierre", Payot, 1936, page 58
(5) BAILLY (Jean Sylvain) : Né à Paris le 15 Septembre 1736. Astronome, physicien, membre de l'Académie des Sciences. Elu aux Etats Généraux, il est Président de l'Assemblée Constituante jusqu'au 2 Juillet 1789. Elu Maire de Paris, il portera une partie de la responsabilité des massacres du Champs de Mars le 17 Juillet 1791. Détesté des révolutionnaires comme des royalistes il devra quitter Paris. Arrêté le 6 Septembre 1793, il sera guillotiné au Champs de Mars le 12 Novembre 1793.
(6) Voir "Mirabeau" et "Louis XVI"
(7) in G. WALTER "Robespierre" op. cit. page 80
(8) cité par André STIL "Quand Robespierre et Danton ..." op. cit. pages 68-69
(9) idem pages 73-74
(10) idem page 73
(11) MOUNIER (Jean Joseph) : Né à Grenoble le 12 Novembre 1758. Elu par le Tiers Etat du Dauphiné aux Etats Généraux, il se distingue par ses idées en faveur d'une monarchie constitutionnelle et, plus tard, en souhaitant que l'on accorde au roi le veto absolu.
Dégoûté par les mouvements populaires, il démissionne le 8 Octobre 1789 et vivra en exil jusqu'en 1801.
Revenu en France, il sera nommé Préfet d'Ile et Vilaine et mourra à Paris le 26 Janvier 1806.
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : ROBESPIERRE (9/50)
DEFENSE DES INTERETS DU PEUPLE :
SEPTEMBRE - OCTOBRE 1789