L'écrivain et académicien Jean d'Ormesson est mort dans la nuit de lundi à mardi. Tous les Français, ou presque, l’aimaient. Sans doute parce que lui aussi aimait tout le monde. Esprit brillant mais toujours modeste, exceptionnel optimiste, amoureux de la vie, admirateur de la langue française qu’il a si bien défendue, Jean d’Ormesson laisse un vide dans un monde où sa sagesse et sa lucidité savait nous ramener à l’essentiel.
Dans la presse écrite et surtout à la télévision Jean d’Ormesson s’est beaucoup confié, même s’il redoutait toujours de parler de lui. Avec humour toujours il a dévoilé quelques pans de sa vie : sa jeunesse, l’écriture, Dieu, sa passion pour les livres surtout.
Les yeux bleus de Michèle Morgan
Ça vient de mes parents. Ils avaient tous les deux les yeux bleus. Le nez, en revanche, c'est du côté de ma mère. Et mon père m'a transmis ses nerfs. Je suis un grand nerveux. J'aimais beaucoup mes parents, même si c'était une famille effrayante : tout le monde aimait tout le monde. Avant de mourir, ma mère m'a laissé trois principes : 1) ne te fais jamais remarquer ; 2) ne parle jamais de toi ; 3) toute lettre mérite une réponse.
De bas en haut
Je suis devenu une marque comme les bas Nylon ou bien Coca-Cola. La télévision m'a aidé. Beaucoup m'ont vu plutôt que lu. Mais je crois que les gens m'aiment bien parce que j'aime bien les gens. Je suis d'une nature bienveillante. J'ai certainement un tas d'ennemis, pourtant je ne déteste personne. À part Hitler, je n'ai détesté personne. Vous pensez que c'est convenu de dire cela, mais j'ai des amis qui l'aimaient beaucoup à l'époque.
Écrire
À 12 ans, j'ai découvert la "Blanche" chez Gallimard. Mais, enfant, l'idée de devenir écrivain ne me traversait pas l'esprit. Je lisais Les Pieds Nickelés et Bibi Fricotin. Je ne voulais rien faire, même pas devenir soldat, pilote ou pompier. Non, rien. J'ai écrit mon premier livre pour une fille. Qui ça? Je ne vous le dirai pas. Je ne mets pas en cause les autres. D'ailleurs, elle s'en fichait complètement.
Les filles
Sur les mœurs, mon père était incroyablement réactionnaire. À Normale, j'habitais encore chez mes parents. Quand le téléphone sonnait, mon père se précipitait pour répondre. Si c'était une fille pour moi, il répondait sèchement : "Qu'est-ce que vous lui voulez encore?" Jusqu'à 19 ans, je n'ai fait qu'étudier. Les filles, je m'en suis occupé trop tard. Aujourd'hui, je cours encore après elles. Mais elles ne risquent plus grand-chose.
Lauren Bacall
Je me trouvais à Venise avec un ami qui était proche de Lauren Bacall. Un jour, il me propose de boire un verre. Elle l'accompagne. Nous sommes tous les trois attablés lorsque j'aperçois au loin François Mitterrand. Je me lève pour aller le saluer. Là, il me demande : "Est-ce que vous pouvez me la présenter?" Je me suis exécuté. C'est moi qui ai présenté Lauren Bacall à François Mitterrand.
Dieu et les hommes en blanc
Dieu, dans sa grâce, ne m'a pas donné la foi. Je suis agnostique. Pourtant, lui, je m'en suis occupé très tôt, tout de suite après La Gloire de l'empire (1971), bien avant qu'il ne redevienne à la mode : Au plaisir de Dieu (1974), Dieu, sa vie, son œuvre (1981)… Dernièrement, j'ai passé huit mois à l'hôpital. La plupart des médecins étaient athées. Je m'en étonnais auprès d'eux : vous, qui ne croyez en rien, vous êtes bons par simple amour de l'humanité. Bien des croyants feraient bien de vous imiter. Vous, vous serez assis à la droite de ce Dieu auquel vous ne croyez pas.
Le prochain livre
Mon dernier livre faisait 80 pages, le prochain fera 600 pages. Je m'y mets très tôt le matin. Je n'ai pas l'angoisse de la page blanche mais celui de la page écrite. Je me réécris dix fois. Je me recopie indéfiniment. J'écris n'importe où, sauf dans les cafés. Trop bruyants. Récemment, la Bibliothèque nationale m'a demandé mes manuscrits. Je me suis aperçu que je les avais égarés.
Le mot de la fin
Il paraît que je suis sur Facebook. Qui m'y a mis? Je ne sais pas, je ne connais pas Internet. Je me demande s'il n'y a pas des gens qui parlent en mon nom. Pourtant, il n'y a qu'un Jean d'Ormesson. Et il n'existe presque pas! Mais j'ai déjà mon épitaphe. Elle me vient de Crillon, l'ami d'Henri IV : "Le roi m'aimait, les pauvres me pleurèrent." C'est bien, ça, le roi et les pauvres.
Source : LeJDD.fr 05-12-2017