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Le premier numéro du "Vieux Cordelier" de Camille Desmoulins
LE COMITE DE CLEMENCE : DECEMBRE 1793
Le 5 Décembre 1793 (15 Frimaire an II), Camille Desmoulins* lance un nouveau journal : le « Vieux Cordeliers ». Camille, qui a toujours fait le lien entre Danton et Robespierre*, a été encouragé dans cette opération autant par l'un que par l'autre : par Danton qui souhaite vivement disposer d'un moyen d'information pour tenter de freiner la terreur qui ne cesse de s’accentuer et par Robespierre* qui voit dans les talents de Camille Desmoulins* un bon moyen de faire barrage au Père Duchesne et aux hébertistes.
Ce premier numéro, écrit en collaboration étroite avec Danton, est un violent réquisitoire contre les hébertistes qualifiés « d'agents de Pitt », mais aussi et surtout un vibrant éloge de l'Incorruptible, de son « émule en patriotisme » : Danton, et de tous les Montagnards. Robespierre*, qui a relu les épreuves de ce nouveau journal, a toutes raisons de se féliciter de cette opération de communication.
Danton, quant à lui, voit dans cette collaboration entre les trois hommes, un encouragement en faveur de la politique de clémence qu'il a annoncée, encore bien timidement jusqu'à présent, aux cours de ses interventions aux Jacobins ou à la Convention. C'est maintenant très régulièrement qu'il prend position sur ce sujet. Le 7 Décembre (17 Frimaire), par exemple, il prend prétexte d'une intervention de Couthon qui demande que les Comités révolutionnaires prenant des mesures de sûreté contre les suspects non compris dans la loi du 17 septembre 1793 aient à motiver ces mesures. Danton y ajoute une autre proposition qui va également être adoptée :
« Il faut nous convaincre d'une vérité politique, c'est que, parmi les personnes arrêtées, il en est de trois classes, les unes qui méritent la mort, un grand nombre dont la République doit s'assurer, et quelques-uns sans doute qu'on peut relaxer sans danger pour elle. Mais il vaudrait mieux, au lieu d'affaiblir le ressort révolutionnaire, lui donner plus de nerf et de vigueur. Avant que nous en venions à des mesures combinées, je demande un décret révolutionnaire que je crois instant. J'ai eu, pendant ma convalescence, la preuve que des aristocrates, des nobles extrêmement riches, qui ont leurs fils chez l'étranger, se trouvent seulement arrêtés comme suspects, et jouissent d'une fortune qu'il est juste de faire servir à la défense de la liberté qu'ils ont compromise. »
« Je demande que vous décrétiez que tout individu qui a des fils émigrés, et qui ne prouvera pas qu'il a été ardent patriote, et qu'il a fait tout au monde pour empêcher leur immigration, ne soit plus que pensionnaire de l'Etat, et que tous ses biens soient acquis à la République. » (1)
Tout en faisant voter par les députés une nouvelle mesure révolutionnaire, Danton critique, une nouvelle fois, même si c'est avec une extrême prudence, le nombre excessif des arrestations arbitraires.
Quelques jours plus tard, le 12 Décembre (22 Frimaire), parait le deuxième numéro du « Vieux Cordelier ». Toujours approuvé par Robespierre* dont il continue à faire l'éloge, il contient cette fois une violente diatribe contre les ultras et en premier lieu le « Prussien » : Cloots. Celui-ci sera d'ailleurs exclu des Jacobins la semaine suivante.
Le succès du « Vieux Cordelier » est très important : le tirage du journal n'est pas loin d'égaler celui de son rival, le « Père Duchesne », pourtant beaucoup plus ancien. Et ce succès rapide va faire entrevoir aux deux amis Camille Desmoulins* et Danton un espoir de triomphe dans la campagne qu'ils viennent d'entreprendre. Déjà les fidèles du tribun ont lancé la grande offensive et commencent à donner de la voix à l'Assemblée. Philippeaux (2) a fait éditer le 6 Décembre (16 Frimaire), une lettre ouverte aux députés : « Philippeaux, représentant du Peuple, au Comité de Salut Public ». Il y dénonce les pillages et les violences organisés dans les départements de l'ouest et accuse les hébertistes du ministère de la guerre, Vincent (3) et Ronsin (4), d'en être les principaux instigateurs et même peut-être les bénéficiaires. Hébert indirectement visé par ces attaques se trouve alors en difficulté ce qui ne peut qu'encourager les amis de Danton à accentuer leur pression.
Le 12 Décembre (22 Frimaire), c'est Bourdon de l'Oise qui repart à l’offensive contre le Comité de Salut Public en le rendant responsable des échecs militaires tant en Vendée que sur le Rhin; il demande le renouvellement du Comité, avec l'espoir secret d'en faire exclure ceux qui affichent le plus de sympathie pour les sans-culottes : Collot-d'Herbois et Billaud-Varenne, entre autres. Il s'en faut de très peu, ce jour là, pour que les dantonistes l'emportent, mais le scrutin prévu n'a pas lieu. Le lendemain, les membres du Comité sont tous reconduits dans leur fonction !
Camille Desmoulins
Un coup pour rien, mais qu'importe ! L'offensive dantoniste ne s'arrêtera pas pour autant. Le 15 Décembre (25 Frimaire), parait le numéro 3 du « Vieux Cordelier » et, cette fois, le journal a changé radicalement de ton. A-t-il été soumis à Robespierre* comme les deux précédents numéros ? L'Incorruptible, en toute confiance, n'a-t-il pas pris le temps de lire les épreuves ? Toujours est-il que Camille, sous couvert de références historiques, s'y livre à une critique sévère du gouvernement et dénonce, très clairement cette fois, les excès de la terreur. Dans le même temps, comme l'objectif reste toujours d'abattre définitivement les hébertistes, Fabre et Philippeaux poursuivent leur offensive à la Convention : le 17 Décembre (27 Frimaire), un décret d'arrestation est voté contre Vincent, Ronsin et Maillard (qui avait été libéré il y a quelques semaines). Robespierre* ne dit mot... Puis, c'est encore Bourdon de l'Oise qui, le surlendemain, renchérit à la tribune : « la faction contre-révolutionnaire des Bureaux de la guerre sera bientôt écrasée... »
Le 20 Décembre (30 Frimaire), le quatrième numéro du « Vieux Cordelier » est sous presse. Camille, très habilement, exploite une proposition qui a été faite par Robespierre* concernant la création d'un Comité de Justice destiné à réexaminer le cas des individus qui auraient pu être incarcérés à tort. Camille voit, dans cette proposition là, un grand pas vers la clémence qu'il réclame : « pourquoi la clémence serait-elle devenue un crime dans la République ? » Et il enchaîne : « Ouvrez les prisons à deux cent mille citoyens que vous appelez suspects. Ces femmes, ces vieillards, ...ces traînards de la Révolution ne sont pas dangereux... ». Et Camille demande que l'on substitue au Comité de Justice créé par Robespierre*, un « Comité de clémence ». Le mot est lâché !....
La campagne lancée par le « Vieux Cordelier » a un retentissement considérable dans la population. Robespierre* qui, sans aucun doute, a été un moment enclin à épouser les thèses de son ami Camille Desmoulins* parce qu'il a été impressionné par le succès populaire de son journal; Robespierre*, subitement, redevient méfiant. Il a le sentiment que l'on a trahi sa confiance !...
Si l'Incorruptible se méfie, d'autres sont franchement inquiets : Collot-d'Herbois revient précipitamment de Lyon pour prêter main forte aux hébertistes et surtout pour se défendre lui-même. Au soir du 21 Décembre (1er Nivôse), un défilé hébertiste est organisé à la gloire du patriote lyonnais Chalier. Collot-d'Herbois vante, aux Jacobins, les mérites de son ami Ronsin; puis, c'est Hébert qui dénonce les Bourdon de l'Oise, les Desmoulins*, et surtout Fabre et Philippeaux dont il demande l'exclusion du Club. La défense de Vincent et Ronsin « intrépides sans-culottes » fait l'objet d'un très long article dans le Père Duchesne du lendemain.
Les débats aux Jacobins deviennent chaque jour un peu plus violents : la contre-attaque contre les Indulgents s'est maintenant organisée... mais dans ce débat, Robespierre* intervient très peu. A peine apportera-t-il son soutien à Collot-d'Herbois et encore ce ne sera que pour préserver l'unité du Comité de Salut Public. On sait qu'il a publiquement désapprouvé la répression de Lyon !
Jean-Marie Collot-d'Herbois
Le 23 Décembre (3 Nivôse), une foule immense se presse aux Club des Jacobins; Collot continue ses diatribes contre les apôtres du modérantisme. La tension, ce soir là, est à son comble; Danton, que l'on a peu entendu ces derniers jours, monte à la tribune pour demander aux membres du Club de bien vouloir écouter les explications de Philippeaux et se montre volontairement apaisant :
« Peut-être n'y a-t-il ici de coupables que les événements. Il n'y a qu'un malheur à redouter, c'est que nos ennemis profitent de nos discussions. Les Romains oubliaient bientôt les querelles particulières lorsque l'ennemi était aux portes de Rome (..)
« Toutes nos altercations tuent-elles un Prussien ? » (5)
Il réclame alors la nomination d'une commission chargée d'entendre les deux partis; mais Robespierre* ne l'entend pas ainsi : il n'a pas oublié les accusations que Philippeaux a porté contre le Comité de Salut Public et il demande à celui-ci de revenir sur ses propos. Non seulement Philippeaux refuse mais il réitère ses critiques envers le Comité. Alors, Danton doit à nouveau intervenir, soutenu, cette fois-ci par Couthon, pour demander la mise en place de sa commission d'enquête. L'Incorruptible persiste à faire la sourde oreille; il n'entendra pas davantage Momoro (6) lorsque celui-ci va proposer le soutien des hébertistes au Comité de Salut Public à condition que cessent les persécutions contre les patriotes.
C'est Robespierre* qui va clore le débat : en réaffirmant la volonté du Comité et de la Convention de s'opposer, à la fois, aux partisans de l'indulgence et à ceux qui prônent l'insurrection...
(1) Hector FLEISCHMANN "Discours civiques de Danton" op. cit. Pages 214-215
(2) PHILIPPEAUX (Pierre Nicolas) : Né le 5 Mars 1756. Avocat au Mans puis juge au Tribunal de District, il est élu à la Convention par le département de la Sarthe. Rallié à Danton*, il vote la mort du roi avec sursis. Envoyé, en Juin 1793, dans l'Ouest insurgé, il fait échouer la campagne par son incompétence. Au début de 1794, il est attaqué par Collot-d'Herbois et accusé de traîtrise par Saint-Just* qui l'enverra au Tribunal révolutionnaire.
Il sera guillotiné avec Danton* le 5 Avril 1794.
(3) VINCENT (Jean Nicolas) : Né en 1767. Dès 1789 il devient un des principaux orateurs du Club des Cordeliers. Nommé chef de Bureau au Ministère de la Guerre en 1792 il en sera le principal responsable en 1793.
Il sera le meneur du mouvement Hébertiste contre le Comité de Salut Public et appellera à l'insurrection. Il sera guillotiné avec Hébert le 24 Mars 1794.
(4) RONSIN (Charles Philippe) : Capitaine de la garde nationale en 1789, il devient adjoint u ministre de la guerre le 23 Avril 1793. Promu général de brigade, il bat à Doué La Rochejacquelin. Général de division en Octobre 1793, Chef de l'armée révolutionnaire de Vendée, il est l'un des plus ardents des hébertistes.
Décrété d'arrestation par la Convention le 17 Décembre 1793, il sera libéré le 2 Février 1794. Arrêté à nouveau avec Hébert et ses amis, il sera guillotiné le 24 Mars 1794.
(5) Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Page 417
(6) MOMORO (Antoine François) : Né à Besançon en 1756, il adhère avec passion à la Révolution. Il devient un des membres influent du Club des Cordeliers et, à ce titre, est parmi les organisateurs de la pétition du Champs de Mars le 17 Juillet 1791.
C'est à lui que l'on doit la devise "Liberté, Egalité, Fraternité" qui sera gravée au fronton de tous les édifices publics.
Il contribuera à la chute des Girondins mais se retrouvera en opposition avec Robespierre notamment pour avoir organisé le culte de la Raison. Il sera guillotiné avec Hébert le 4 Mars 1794.
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (47/52)
LA LUTTE DES FACTIONS : DECEMBRE 1793 - FEVRIER 1794