.
Procès de Louis XVI devant la Convention Nationale - janvier 1793
LE PROCES DU ROI : JANVIER 1793
C'est donc le 14 Janvier que Danton arrive à Paris, de retour de sa mission auprès des armées en Belgique. Pendant son absence, la Convention nationale s'est instauré tribunal des représentants du peuple afin de juger Louis XVI*. Les journées décisives, celles pendant lesquelles on doit procéder aux votes, sont prévues pour le lendemain et le surlendemain.
Danton n'est pas présent le 15, sur les bancs de la Convention, pour voter sur la culpabilité du Roi. Les députés ont décidé que le vote se déroulerait à l'appel nominal : chaque élu, à l'appel de son nom, monte à la tribune pour donner son vote. Les conventionnels ont ainsi trouvé le moyen de faire toute la lumière sur les sentiments de chacun.
La culpabilité de Louis XVI* est votée à l'unanimité moins treize abstentions (1). On passe ensuite au vote relatif à l'appel au peuple (2), rejeté par 484 voix contre 287.
Bien entendu, des bruits courent au sujet de l'absence de Danton lors de cette journée importante. Ses amis prétendent qu'il a dû se rendre au chevet de son épouse Gabrielle dont la grossesse est, paraît-il, difficile. Hypothèse bien peu plausible ! Danton ne se soucie guère de la santé de sa femme depuis plusieurs mois. On l'a vu plus souvent, ces derniers temps, fréquenter les restaurants chics avec ses complices Fabre et Desmoulins*, ou à table avec des filles et son ami Delacroix, lors de sa mission en Belgique, que dans la maison familiale !
D'autres affirment que le tribun a profité de cette journée du 15 Janvier pour préparer une intervention vigoureuse au cours de laquelle il s'apprête à demander à l'Assemblée la clémence en faveur du Roi. Car ceux-là croient encore que le talent et l’influence de Danton pourraient sauver le Roi. Ils en seront pour leurs frais ! Danton a réclamé, à plusieurs reprises et avec force, que le roi soit châtié sévèrement et que la procédure qui doit décider de sa condamnation soit accélérée ! Il n'a pas changé d'avis ! Pourquoi d'ailleurs l'aurait-il fait ?
Ce n'est que le 16 Janvier, vers midi, que Danton prend place sur les bancs de la Montagne. Dès les premières heures, il prend conscience de l'enjeu du débat. Les « Indulgents » tentent toutes les manœuvres possibles pour sauver la tête de Louis XVI* ou, tout au moins, pour gagner du temps. Dans l'après midi, les Girondins soulèvent une nouvelle question de principe : ils demandent que l'Assemblée se prononce à une majorité des deux tiers pour que la peine infligée au Roi fut applicable. Nouvelle chicane de procédure dont la Gironde est coutumière. Danton, qui, selon son habitude, n'a rien préparé intervient, au nom de la Montagne, dans une improvisation au cours de laquelle il excelle :
« On a prétendu que telle était l'importance de cette question, qu'il ne suffisait pas qu'on la vidât dans la forme ordinaire. Je demande pourquoi, quand c'est par une simple majorité qu'on a prononcé sur le sort de la nation entière, quand on n'a même pas pensé à soulever cette question lorsqu'il s'est agi d'abolir la royauté, on veut prononcer sur le sort d'un individu, d'un conspirateur, avec des formes plus sévères et plus solennelles (..) »
« Je demande si, quand une loi pénale est portée contre un individu quelconque, vous renvoyez au peuple, ou si vous avez quelques scrupules à lui donner son exécution immédiate ? »
« Je demande si vous n'avez pas voté à la majorité absolue seulement la république, la guerre; et je demande si le sang qui coule au milieu des combats ne coule pas définitivement ? »
« Les complices de Louis n'ont-ils pas subi immédiatement la peine sans aucun recours au peuple et en vertu de l'arrêt d'un tribunal extraordinaire ? Celui qui a été l'âme de ces complots mérite-t-il une exception ? Vous êtes envoyés par le peuple pour juger le tyran, non pas comme juges proprement dits, mais comme représentants : vous ne pouvez dénaturer votre caractère ... » (3)
Danton obtient gain de cause : on votera à la majorité simple. Le troisième appel nominal sur la question : « Quelle peine Louis Capet, ci-devant roi des Français, a-t-il encourue ? », commence vers huit heures du soir. Ce n'est que vers quatre heures du matin que vient le tour du tribun. Il monte à la tribune. Certains, habitués sans doute aux volte-faces de Danton, attendent encore de lui un revirement de dernière minute en faveur du Roi. Ils sont déçus : la position de Danton n'a pas variée. Il la motive par ces courtes phrases :
« Je ne suis point de cette foule d'hommes d'Etat qui ignorent qu'on ne compose point avec les tyrans, qui ignorent qu'on ne frappe les rois qu'à la tête, qui ignorent que l'on ne doit rien attendre de ceux de l'Europe que par la force de nos armes !
« Je vote pour la mort du tyran ! » (4)
Interrogatoire de Louis XVI - janvier 1793
L'appel nominal va se poursuivre ainsi durant toute la journée du 17 Janvier. Vergniaud, président de séance, proclame enfin la clôture du scrutin, annonce que l'on va procéder au décompte des voix, puis informe l'Assemblée qu'il va donner lecture de deux lettres, l'une en provenance des défenseurs de Louis XVI*, la seconde lui ayant été adressée par le chargé d'affaires d'Espagne à Paris pour soutenir la cause du monarque.
Un énorme chahut se déclenche aussitôt sur les bancs de la Montagne. On demande la proclamation immédiate des résultats du vote et le passage à l'ordre du jour. Vergniaud a toute les peines du monde à ramener le calme et donne finalement la parole à Garran-Coulon, député du Loiret et membre des Indulgents. A peine le député a-t-il prononcé quelques mots pour demander de remettre à plus tard la lecture de la lettre concernant l'Espagne, qu'il est interrompu par Danton.
Louvet s'écrie alors de sa place : « Tu n'es pas encore roi, Danton ! »
Des rumeurs parcourent l'Assemblée, tandis que Louvet poursuit : « Quel est donc ce privilège ? Je demande que le premier qui interrompra soit rappelé à l'ordre. » Danton riposte aussitôt :
« Je demande que l'insolent qui dit que je ne suis pas roi encore soit rappelé à l'ordre avec censure... Puisque Garran avait demandé la parole avant moi, je la lui cède. » (5)
Le pauvre Garran explique alors qu'il demande simplement que l'on écoute les défenseurs de Louis XVI*. Danton lui répond aussitôt :
« Je consens à ce que les défenseurs de Louis soient entendus après que le décret aura été prononcé, persuadé qu'ils n'ont rien de nouveau à nous apprendre, et qu'ils ne nous apportent point de pièces capables de faire changer votre détermination. »
« Quant à l'Espagne, je l'avouerai, je suis étonné de l'audace d'une puissance qui ne craint pas de prétendre à exercer son influence sur votre délibération. Si tout le monde était de mon avis, on voterait à l'instant, pour cela seul, la guerre à l'Espagne. »
« Quoi ! On ne reconnaît pas notre République et l'on veut lui dicter des lois ? On ne la reconnaît pas, et l'on veut lui imposer des conditions, participer au jugement que ses représentants vont rendre ? Cependant, qu'on entende si on le veut cet ambassadeur, mais que le Président lui fasse une réponse digne du peuple dont il sera l'organe et qu'il lui dise que les vainqueurs de Jemmapes ne démentiront pas la gloire qu'ils ont acquise et qu'ils retrouveront, pour exterminer tous les rois de l'Europe conjurés contre nous, les forces qui déjà les ont fait vaincre. »
« Défiez-vous, citoyens, des machinations qu'on ne va cesser de déployer pour vous faire changer de détermination; on ne négligera aucun moyen; tantôt pour obtenir des délais, on prétextera un motif politique; tantôt une négociation importante ou à entreprendre ou prête à terminer. Rejetez, rejetez, citoyens, toute proposition honteuse; point de transaction avec la tyrannie; soyez dignes du peuple qui vous a donné sa confiance et qui jugerait ses représentants, si ses représentants l'avaient trahi. » (6)
Danton, encore une fois, se laisse emporter par sa fougue qui l'entraîne invariablement vers des tirades belliqueuses.
La séance se poursuit encore très tard dans la nuit. Le décompte des voix est refait plusieurs fois à la suite d'erreurs et, enfin, Vergniaud proclame le résultat du scrutin : 387 voix pour la mort, dont 26 à condition que soit examinée la question du sursis; contre 334.
C'est le 19 Janvier que la Convention doit statuer sur l'ultime question : « Y aura-t-il sursis, oui ou non, à exécution du décret qui condamne Louis Capet ? » Les députés sont épuisés de fatigue et Tallien propose à l'Assemblée de décider, sur-le-champ, de la question du sursis. Danton intervient de nouveau sur un ton qui tranche avec celui qu'il a employé les jours précédents :
« On vous a parlé d'humanité, mais on en a réclamé les droits d'une manière dérisoire... Il ne faut pas décréter, en sommeillant, les plus chers intérêts de la patrie ».
« Je déclare que ce ne sera pas par lassitude, ni par terreur qu'on parviendra à entraîner la Convention nationale à statuer, dans la précipitation d'une décision irréfléchie, sur la question à laquelle la vie d'un homme et le salut public sont également attachés (...) »
« Je n'examine point comment on peut flatter le peuple, en adulant en lui un sentiment qui n'est peut être que celui d'une curiosité atroce. Les véritables amis du peuple sont à mes yeux ceux qui veulent prendre toutes les mesures nécessaires pour que le sang du peuple ne coule pas, que la source de ses larmes soit tarie, que son opinion soit ramenée aux véritables principes de la morale, de la justice et de la raison. »
« Je demande donc la question préalable sur la proposition de Tallien; et que, si cette proposition était mise aux voix, elle ne pût l'être que par l'appel nominal. » (7)
Danton, bien évidemment, vote contre le sursis.
Ainsi se termine le procès le plus extraordinaire de l'histoire. Procès tronqué, au cours duquel Louis XVI* a toujours semblé être condamné d'avance. Procès dans lequel l'accusé n'a eu pratiquement aucun moyen de se défendre. (8)
Pour les révolutionnaires les plus ardents, les Montagnards bien sûr, mais également les Girondins et beaucoup d'hommes de la Plaine, voter la mort du Roi était donner un gage de leur sincérité républicaine. C'était même prouver leur attachement à la Révolution. Même si certains ont tout tenté, par des chicaneries de procédure, pour sauver le monarque, bien peu ont osé franchir le pas et aller jusqu'au bout de leurs convictions en refusant de voter la mort !...
Il aurait suffi de 27 voix (9) pour épargner à Louis XVI* la guillotine et c'est sans doute pour cette raison que bien des indulgents avaient compté sur Danton. Ils ont espéré l'entendre prêcher la clémence, d'abord parce que beaucoup le savaient corrompu et devinaient que l'on tenterait encore de l'acheter, ensuite parce que Danton avait une telle influence sur l'Assemblée qu'il pouvait, relativement facilement, « retourner » les 27 votes manquants.
Mais, plus que l'argent, il est une autre chose qui intéresse Danton en cette période : c'est sa carrière politique.....
(1) Voir Louis XVI*
(2) Appel au peuple : Les adversaires de la condamnation à mort du Roi demandaient qu'on fasse appel à une procédure utilisée dans la Rome antique. Les condamnés étaient autorisés à s'adresser au peuple lui-même, considéré comme tribunal suprême.
(3) cité par Hector FLEISCHMANN "Discours civiques de Danton " op. cit. Pages 37-38
(4) cité par Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Pages 252-253
(5) cité par Hector FLEISCHMANN "Discours civiques de Danton" op. cit. Page 39
(6) idem pages 39-40
(7) idem pages 41-42
(8) Voir Louis XVI*
(9) Le roi a été condamné à mort par 387 voix contre 334. La majorité absolue était donc de 362 voix
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (30/52)
CONTRE ROLAND, ENCORE : JANVIER 1793