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Gaspard Monge
REGLEMENTS DE COMPTES :
OCTOBRE - NOVEMBRE 1792
Redevenu simple député, Danton n'en demeure pas moins la cible privilégiée des Girondins. Le 6 Octobre, alors qu'il s'apprête à quitter le ministère de la Justice, Danton remet à la Convention, comme il est d'usage, le compte rendu de ses dépenses extraordinaires. Mais tout le monde connait les rapports qu’entretient Danton avec l’argent et l’occasion semble propice à la Gironde pour tenter, sur ce sujet, de prendre le tribun en défaut...
Les députés Girondins demandent alors à savoir ce que sont devenus les 2 000 000 de livres, accordées au Conseil Exécutif, le 28 Août dernier, par l'Assemblée Législative, et sur lesquelles Danton a pu disposer de 400 000 Livres, moitié pour les dépenses extraordinaires, moitié pour les dépenses secrètes.
Le 10 Octobre, Cambon (1), homme de la Plaine mais surtout comptable scrupuleux, revient à la charge et demande que Danton rende compte de toutes ses dépenses y compris les dépenses secrètes. Le tribun argue qu'il a déjà fourni un compte rendu complet à ses collègues du Conseil Exécutif :
« Nous étions responsables de la liberté, nous avons rendu nos comptes. J'ai rendu le mien particulièrement, je crois n'avoir mérité aucun reproche dans ma conduite politique.. » (2)
Mais, avec des arguments aussi faibles, Danton ne parvient pas à convaincre ! S'il a rendu ses comptes « en particulier », ses collègues, et principalement Roland, ne semblent pas s'en souvenir. Et, puisqu'il prétend ne rien avoir à cacher, alors pourquoi ne pas s'expliquer publiquement sur l'utilisation des fonds qui lui ont été confiés ?
La semaine suivante, sans doute pour mettre Danton un peu plus dans l'embarras, Roland s'exécute : il justifie devant les députés de la Convention toutes ses dépenses tant secrètes qu'extraordinaires. L'empressement de Roland met effectivement Danton en difficulté. La Convention demande aussitôt que tous les ministres imitent le Ministre de l'Intérieur. Monge s'explique à son tour : il n'a procédé à aucune dépense; sa tâche est donc aisée !
Danton est, lui, mis au pied du mur. Il entreprend alors une longue justification dans laquelle il invoque le secret diplomatique, la période tragique qui a suivi la prise de Verdun, la nécessité de dépenser sans compter pour « ranimer la confiance et donner l'impulsion à la France entière ». Pas de chiffres, pas d'explications concrètes, mais un discours à la Danton qui soulève un tonnerre d'applaudissements. Selon son habitude, le tribun sait trouver les phrases percutantes et susciter l'émotion de son auditoire; mais, une fois de plus, il s'emporte et laisse échapper ces quelques mots qui vont lui valoir plusieurs semaines de déboires :
« Pour la plupart de ces dépenses (il s'agit là des dépenses secrètes) j'avoue que nous n'avons point de quittances bien légales.. » (3)
Déjà des murmures se lèvent du côté des bancs de la Gironde. Quelques députés apostrophent Danton. Pourquoi Roland aurait-il agi en toute légalité alors que cela était impossible pour Danton ? Et le tribun poursuit, malgré le tumulte qui règne dans l'assistance :
« Il serait bien pénible, bien flétrissant, pour des ministres patriotes de les forcer à remettre toutes les pièces qui constatent ces opérations extraordinaires. Il est vrai que Roland n'a point assisté au compte que les ministres se sont rendu mutuellement, mais il pouvait y assister. »
« J'observerai en finissant que si le Conseil eût dépensé dix millions de plus, il ne serait pas sorti un seul ennemi de la terre qu'ils avaient envahie !.. » (4)
Dans le tumulte qui suit, Roland confirme qu'il n'a effectivement pas assisté à cette séance au cours de laquelle Danton prétend avoir rendu ses comptes « en particulier ».. Il ajoute, d'un ton perfide, qu'il a été surpris de constater que cette séance à laquelle il n’assistait pas n'avait donné lieu à aucun procès verbal sur le registre du Conseil. Une façon de dire que cette fameuse séance, qui est au centre de l'argumentation de Danton, n'a en réalité jamais eue lieu ! Les Girondins sentent maintenant qu'ils tiennent leur ennemi. Roland pressent que l'heure de sa revanche va bientôt sonner ! Dans le débat passionné qui s'est installé, la confusion est telle que tout le monde semble surpris d'entendre un député demander « un décret d'accusation contre les ministres qui ont dilapidé les finances de l'Etat ».
Il faudra toute l'autorité de Delacroix (5), Président de séance et ami de Danton, pour ramener le calme et convaincre l'Assemblée qu'il est temps de passer à l'ordre du jour.
L'affaire des comptes de Danton ne se termine pas là pour autant. Dans l'esprit des élus de la Gironde, ce n'est que partie remise. Et effectivement, un nouveau rebondissement à lieu le 26 Octobre lorsque Danton intervient pour prendre la défense de la Commune : Guadet, qui préside, lui inflige un rappel à l'ordre. Violent incident de séance qui permet à un Girondin de réclamer, à nouveau, que le Conseil Exécutif fournisse à l'Assemblée la justification complète de ses dépenses. Guadet laisse faire et Danton, qui bien évidemment se sent visé, intervient aussitôt :
« Je rendrai compte s'il le faut, de toute ma vie ! Mais je vois qu'on poursuit avec acharnement les bons citoyens ! » (6)
Des murmures s'entendent sur les bancs de l'Assemblée, mais l'on passe tout de même à l'ordre du jour.....
Danton finira par obtenir pratiquement gain de cause dans cette affaire compliquée de la justification de ses comptes. Après que Roland et Lebrun aient complété le registre du Conseil Exécutif, Clavière y consignera également ses comptes. Le 7 Novembre, la Convention entendra lecture d'une lettre, co-signée par les trois ministres Lebrun, Monge et Clavière, attestant que, le 6 Octobre dernier, Danton et Servan ont donné au Conseil des comptes détaillés de leurs fonds secrets et fourni toutes les pièces justificatives correspondantes. Alors que des murmures se font encore entendre, Brissot tente un ultime assaut : « puisqu'on murmure, je demande que Danton rende ses comptes publiquement ! »
Mais le débat en restera là. La Convention ne demandera plus à Danton de s'expliquer mais la Gironde saura faire remarquer, de temps à autre, au tribun, que l'Assemblée ne lui a jamais donné quitus.
Il est fort probable que Danton ait procédé, avec les fonds publics, comme il a toujours fait avec son argent personnel : il a dépensé sans compter. L'a-t-il fait, comme il l'a prétendu, dans l'intérêt de la République et pour ranimer la confiance dans des circonstances dramatiques ? Personne, pas même lui, ne peut en apporter la preuve....
(1) CAMBON (Pierre Joseph) : Né à Montpellier le 10 Juin 1756. Il fonde, dans cette ville, une Société affiliée au Club des Jacobins dès Juillet 1789. Elu de l'Hérault à l'Assemblée Législative, il apparaît rapidement comme le spécialiste des questions financières, même si certains critiquent ses compétences. A nouveau élu à la Convention, il sera le premier à prendre ouvertement parti contre Robespierre* lors de la séance du 8 Thermidor. La chute de l'Incorruptible redonnera à Cambon une nouvelle gloire : il sera élu Maire de Paris lors de l'émeute du 12 Germinal an III mais il devra bientôt se cacher puis sera exilé comme tous les régicides. Il mourra près de Bruxelles le 15 Février 1820.
(2) cité par Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Page 238
(3) idem
(4) idem pages 238-239
(5) DELACROIX (Jean François) : Né le 3 Avril 1753. Il s'engage très jeune dans la Gendarmerie royale avant de devenir avocat. Elu à la Législative puis à la Convention, ami de Danton, il se fait remarquer par ses attaques violentes contre le Roi et la Cour. Envoyé par Danton auprès de Dumouriez, il défendra ce dernier jusqu'au jour de sa trahison.
Membre du Comité de Salut Public à partir du 7 Avril 1793, il participera à l'élimination des Girondins. Accusé par Robespierre* et Saint-Just*, il sera guillotiné avec Danton le 5 Avril 1794.
(6) cité par Frédéric BLUCHE "Danton" op. cit. Page 240
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (26/52)
AVEC ROBESPIERRE CONTRE ROLAND : OCTOBRE 1792