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Jérôme Pétion de Villeneuve
LA LEGISLATIVE FORCE LA DECISION DU ROI :
OCTOBRE - DECEMBRE 1791
C'est le 1er Octobre 1791, que l'Assemblée Législative s’installe à la place de l'Assemblée Constituante. Conformément au décret voté à la demande de Robespierre* (1), aucun des députés élu en 1789 n'a été reconduit dans la nouvelle assemblée. La Législative ne comprend donc que des hommes neufs et, bien souvent, tout à fait inexpérimentés.
Danton, soutenu par quelques Sociétés populaires, a fait campagne pour se faire élire au Corps législatif mais, encore une fois, il a échoué et, furieux d’être une fois encore humilié, il s'est retiré sur ses terres à Arcis-sur-Aube.
La nouvelle Assemblée comprend un groupe de 265 députés appartenant à la droite constituant le Club des Feuillants. Ce Club, né au lendemain de la fusillade du Champs de Mars le 17 juillet dernier, regroupe les dissidents du Club des Jacobins qui ont solennellement déclaré leur attachement à la Constitution décrétée par l'Assemblée et ratifiée par le roi. Ils se partagent entre les amis du Général La Fayette* que l’on nomme les Fayettistes et un deuxième groupe que l'on appelle Lamethistes dont les chefs de file sont les frères Lameth et Barnave (2), tous trois conseillers occultes de la Cour.
La gauche jacobine ne comprend qu'environ 135 députés qui, outre quelques Cordeliers comme Merlin de Thionville (3), Basire (4) ou Chabot (5), est partagée en deux groupes qui ne vont pas tarder à fusionner : les Brissotins, du nom de leur chef le journaliste Brissot (6), et les députés de la Gironde Vergniaud (7), Guadet (8), Gensonné (9), Condorcet (10), les futurs Girondins.
Le centre « indépendant » regroupe, lui, 345 constitutionnels. C'est donc le Centre qui va arbitrer les débats : le plus souvent partagé, il fera, en fonction des sujets traités, pencher la balance d'un côté ou de l'autre.
Pendant que Danton joue les notables dans sa province champenoise, qu'il gère ses terres tout en veillant sur sa femme à nouveau enceinte, des événements vont se produire dans la capitale qui sont de nature à lui procurer quelques satisfactions. Bailly, maire de Paris, est démissionnaire depuis le 19 Septembre dernier, mais il assure encore l'intérim en attendant de nouvelles élections. Il était devenu la bête noire des parisiens depuis la tragique fusillade du Champs de Mars et sa démission est venue fort à propos.
Les élections se déroulent le 14 Novembre et le Jacobin Pétion (11), ami de Robespierre*, est élu contre La Fayette* lequel avait, lui aussi, démissionné de son poste de Commandant de la garde nationale. La victoire de Pétion est sans appel : 7000 voix contre 3000 ! La Fayette* semble en passe de se faire éliminer complètement de la vie politique. Danton jubile !
Le général s'est attiré tellement de haine de la part de la Cour, et plus particulièrement de Marie-Antoinette*, que sa défaite ne faisait aucun doute. La Reine a fait intervenir tous ceux qui, à Paris, pouvaient lui apporter un quelconque soutien pour faire perdre La Fayette*. Un mois plus tard, il sera d'ailleurs envoyé à Sedan, pour commander l'armée du centre. Un véritable exil pour l'ambitieux héros des deux mondes !
A l'Assemblée aussi des changements sont en train de se préparer. Les Brissotins tentent de pousser le Roi à se prononcer, une fois pour toutes, et clairement, pour ou contre la Révolution. Les décrets qu'ils font voter à la Législative ont tous le même objectif : forcer la décision de Louis XVI*.
Le 31 Octobre, c'est un décret intimant l'ordre à Monsieur, Frère du Roi, de revenir en France avant le 1er Janvier 1792, sous peine de déchéance. Le 2 Novembre est voté un autre décret à l'adresse, cette fois, des émigrés de Coblence : ordre leur est donné de rentrer en France, dans le même délai, sous peine de confiscation de tous leurs biens et d'une condamnation à mort par contumace. Le 29 Novembre, c'est contre les prêtres réfractaires que se prononce l'Assemblée : faute de prêter un serment civique, ils seront considérés comme suspects.
Le Roi, appelé à ratifier ces décrets, oppose son veto, comme la Constitution lui en donne le droit, aux deux décrets concernant les prêtres réfractaires et les émigrés. Ce n'est une surprise pour personne. Louis XVI* est habitué aux reculades et aux compromis mais il y a tout de même des limites à ce qu'il peut accepter ! Ce qui apparaît comme beaucoup plus surprenant, c'est qu'il ait été fortement encouragé dans cette décision par....le Département de Paris qui a rédigé une adresse au monarque en ce sens ! Une fois de plus ce sont les sections qui vont réagir vigoureusement : celle du Théâtre Français, en particulier, qui fait signer une pétition protestant contre l'adresse du Département de Paris et réclamant le châtiment des coupables.
Danton suit de très loin ces joutes qui vont pourtant avoir des conséquences importantes sur l'avenir du pays. Il semble même parfois se désintéresser des problèmes politiques de la France, même s'il continue à porter beaucoup d'attention aux événements de la capitale.
Il faudra le concours de Camille Desmoulins*, Fréron, Legendre pour convaincre Danton de quitter le calme de sa province champenoise et pour le ramener aux affaires politiques du pays.
Ses amis le pressent en particulier de revenir à Paris pour briguer un poste dans l'Assemblée municipale. Le poste de second substitut du Procureur de la Commune vient, en effet, de se libérer du fait de la démission de son titulaire. Danton hésite, puis finalement, se porte candidat. Il est élu le 6 Décembre, d'extrême justesse, après trois tours de scrutin. Devenu très populaire à Paris, il prend conscience, à cette occasion, qu'il s'y est fait également beaucoup d'ennemis ! Seul Brissot lui a apporté son soutien; Robespierre* et ses amis se sont dérobés quelques jours avant la date du vote !
(1) Voir Robespierre*
(2) BARNAVE (Antoine-Pierre-Joseph-Marie) : Né à Grenoble le 22 octobre 1761 dans une famille de la haute bourgeoisie. Licencié en droit en 1780 c’est un esprit brillant. Lors de la journée des Tuiles le 7 juin 1788 il rédige un libelle « l’Esprit des Édits » appelant à soutenir le Parlement de Grenoble suspendu par le Pouvoir central, et se rapproche d’un autre avocat promis lui aussi à un bel avenir, Jean Joseph Mounier. Barnave et Mounier vont obtenir la réunion des députés des trois ordres du Dauphiné le 21 juillet au château de Vizille.. Elu à l’Assemblée constituante il va s’éloigner de Mounier et constituer avec Duport et les frères Lameth le « triumvirat » qui va jouer un rôle important. Il prendra parti contre les gens de couleur dans le débat sur l’égalité. Après la mort de Mirabeau il est approché par la Cour qui se cherche des alliés et, lors de la fuite du roi à Varenne, il sera dépêché par l’Assemblée avec Pétion et Latour-Maubourg pour ramener la famille royale à Paris. C’est à cette occasion que, touché par Marie-Antoinette*, il entame avec elle une correspondance secrète. A la clôture de la Constituante il continue à conseiller la Cour mais en janvier 1792 il se retire à Grenoble. Après les événements du 10 août on retrouve des lettres compromettantes adressées au roi et Barnave est arrêté le 19 août 1792. Il est condamné à mort et guillotiné le 29 novembre 1793.
(3) MERLIN DE THIONVILLE (Antoine Christophe Merlin, dit) : Né à Thionville le 13 Septembre 1762. Avocat à le fin de l'ancien régime, Merlin est élu Officier Municipal et Commandant de la garde nationale à Thionville avant d'être élu à la Législative.
Membre du Club des Jacobins, il siège à l'extrême gauche et forme avec Basire et Chabot un trio très agité ! A la tête des émeutiers lors de l'insurrection du 10 Août 1792, il proposera de prendre en otages les femmes et les enfants des émigrés !
Elu à la Convention, il réclamera l'exécution de Louis XVI* dès le 1er Octobre 1792. Envoyé ensuite en Vendée, il s'enrichira sur le dos de ses victimes. Au 9 Thermidor, il sera parmi les adversaires de Robespierre* sans doute parce qu'il avait beaucoup de choses à se reprocher. Il mourra le 14 Septembre 1833.
(4) BASIRE (Claude) : Né à Dijon le 21 Octobre 1761. Commis aux Archives des Etats de Bourgogne, il est élu à la Législative et siège à l'extrême gauche. Il jouera un rôle très important dans la préparation de l'insurrection du 10 Août 1792 et fera partie des commissaires nommés par l'Assemblée le 2 Septembre au moment des massacres.
Elu à la Convention, il sera l'ennemi juré des Girondins et pourtant c'est lui-même qui demandera que cesse la terreur à l'encontre des députés. Accusé, pour cette raison de modérantisme et dénoncé aux Jacobins, il sera arrêté le 17 Novembre 1793 et guillotiné le 5 Avril 1794 à Paris.
(5) CHABOT (François) : Né en Aveyron le 23 Octobre 1756. Capucin à Rodez il est, dès 1758, interdit de prêche par son évêque, quitte son couvent dès la suppression des ordres monastiques et adhère à la Constitution civile du Clergé.
Elu à la Législative, il attaque violemment le Roi et la Cour avec ses amis Basire et Merlin de Thionville.
Réélu à la Convention, il exagère le "sans-culotisme" par des tenues débraillées et vote, bien évidemment, la mort du Roi. Membre du Comité de Sûreté Générale, il n'hésitera pas à dénoncer plusieurs de ses collègues dont Condorcet. Aimant la bonne chère et les filles, il sera compromis dans plusieurs affaires d'argent dont les spéculations lors de la liquidation de la Compagnie des Indes. C'est lors de cette affaire qu'il dénoncera Fabre d'Eglantine pour se dédouaner auprès de Robespierre*. Il sera arrêté et guillotiné le 4 Avril 1794.
(6) BRISSOT (Jacques Pierre également dit Brissot de Warville) : Né à Chartres le 15 janvier 1754. D’abord poussé par son père à faire des études de droit il est plus attiré par l’écriture et a une jeunesse assez tumultueuse. Il se fait d’abord remarquer en 1788 après avoir crée la « Société des amis des Noirs ». Il devient alors secrétaire de Louis-Philippe d’Orléans et se jette dans la révolution française. Quelques semaines après le 14 juillet il fonde « Le Patriote français ». Elu à l’Assemblée législative en septembre 1791 il devient l’un des partisans acharnés de la déclaration de guerre aux puissances européennes. Il s’oppose alors aux Montagnards et à quelques Girondins. Réélu à la Convention en 1792 il devient le chef des « Brissotins » puis des Girondins. Il va s’opposer à Robespierre* jusqu’à la mise en accusation des Girondins le 2 juin 1793. Il parvient à s’enfuir mais est arrêté à Moulins et ramené à la prison de l’Abbaye. Condamné à mort le 30 octobre 1793 avec vingt-et-un de ses collègues il est guillotiné le lendemain.
(7) VERGNIAUD (Pierre Victurnien) : Né le 3 mai 1753 à Limoges. Avocat au parlement de Bordeaux il est administrateur de la Gironde en 1789 et entre à la société des amis de la Constitution au début de la révolution. Elu à l’Assemblée Législative en 1791. Grand orateur à l’Assemblée il sera le président qui accueillera le Roi et sa famille lors des émeutes du 10 aout 1792. Lors du procès de Louis XVI* il tentera de convaincre ses collègues de voter l’appel au peuple mais votera lui-même la mort du roi sans le sursis. Le 10 avril 1793, Robespierre* l’englobe dans l’accusation contre les ministres girondins et Brissot d’avoir pactisé avec La Fayette* et Dumouriez. Il est décrété d’accusation le 1 juin 1793 et guillotiné le 31 octobre 1793 avec les 21 autres députés girondins.
(8) GUADET (Marguerite Elie) : Né à Saint-Emilion le 20 Juillet 1758. Avocat à Bordeaux, il est élu à la Législative puis de nouveau à la Convention. Avec Gensonné et Vergniaud, il est à l'origine du groupe des Girondins. Orateur éblouissant, il s'en pendra à Robespierre* avec beaucoup de talent. Il sera, bien sûr, proscrit avec les Girondins le 2 Juin 1793. Caché dans le Calvados puis à Saint-Emilion, il est finalement arrêté et guillotiné le 17 juin 1794 à Bordeaux en compagnie de son père, sa tante et son frère.
(9) GENSONNE (Armand) : Né à Bordeaux le 10 Août 1758. Avocat fondateur en 1783, avec Vergniaud, du Musée de Bordeaux, Société de pensée annonçant les Clubs révolutionnaires.
Il est élu Procureur de la Commune en 1790 puis député à la Législative. Il incarne avec Guadet et Vergniaud le groupe Girondin dont il sera l’un des éléments les plus modéré. Arrêté le 2 Juin 1793, il refusera de s'enfuir comme il en avait la possibilité et sera guillotiné à Paris le 31 Octobre 1793.
(10) CONDORCET (Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de) : Né le 17 septembre 1743 à Ribemont. Philosophe, mathématicien et homme politique français. Il est célèbre, comme mathématicien, pour ses travaux sur les probabilités et les statistiques. Comme homme politique il siège à la Convention dans le groupe des Girondins. Il proposera des réformes du système éducatif et du système pénal. Décrété d’arrestation avec les Girondins le 3 octobre 1793 il prend la fuite et se cache à Paris. Le 25 mars 1794 il quitte Paris et est arrêté deux jours plus tard et emprisonné à Bourg-la-Reine. On le trouve mort dans sa cellule peu après son incarcération le 29 mars 1794..
(11) PETION (Jérôme) : Né le 2 Janvier 1756 à Chartres. Avocat dans cette ville, il est élu aux Etats Généraux et siège à l'extrême gauche avec Robespierre*. Il devient l'ami de l'Incorruptible. Après la fuite du Roi à Varennes, il est chargé de ramener la famille royale à Paris. Il est élu Maire de la Capitale le 14 Novembre 1791.
Il va alors se laisser séduire par les idées de la Gironde et sera suspendu de ses fonctions le 12 Juillet 1792. Elu à la Convention par le département de l'Eure-et-Loir, il en est le premier Président et est nommé en même temps Président du Club des Jacobins.
Ayant défendu Buzot, il sera proscrit avec les Girondins le 2 Juin 1793 et devra se réfugier à Caen puis en Bretagne et enfin à Bordeaux. Il se suicidera avec Buzot pour ne pas être arrêté.
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FAUT-IL FAIRE LA GUERRE ? : DECEMBRE 1791 - JANVIER 1792