.
Maximilien Robespierre
LES AMIS SE RAPPROCHENT :
DECEMBRE 1790 - JANVIER 1791
En cette fin d'année 1790, Danton est bien seul et passablement désœuvré. Ce qui lui manque le plus, c’est bien une tribune pour s'exprimer, pour briller, pour faire tonner sa voix et secouer ce peuple qui, selon lui, s'endort. Il a bien tenté quelques apparitions au Club des Jacobins (1) mais, après trois ou quatre discours sans importance, prononcés sur le ton qui lui est propre, le ton qu'appréciaient tant les Cordeliers, il s'est vite rendu compte qu'il n'avait guère séduit l'auditoire.... Le style Danton n’est guère du goût des Jacobins...
Il met donc à profit cette période de liberté pour se rapprocher des hommes qui jouent un rôle important dans la Révolution et qui, pense-t-il, pourront l’aider un jour... Il prend des contacts d'abord avec le Duc d'Orléans, rentré à Paris au cours de l'été, après une « mission » en Angleterre. Les deux hommes vont se rencontrer plusieurs fois et Danton est même invité à la table du Duc. Ils ont tellement de points communs qu'on ne peut s'étonner que leurs routes se soient croisées. Ils ont, en effet, tout pour s'entendre : la jouissance de la vie qu'ils placent, tous deux, au-dessus de toute autre préoccupation; l'argent qu'ils aiment, pour les plaisirs que celui-ci peut procurer, mais qu'ils méprisent avec autant de force parce qu'ils le dépensent sans compter.
Les liens entre les deux hommes sont devenus si forts que la fidélité de Danton au Duc d'Orléans, mais aussi à son fils le Duc de Chartres, sera sans faille. Il ne les abandonnera que lorsque sa propre vie sera menacée, en Avril 1793.
Mais Danton, en cette période, se rapproche également d'un autre homme avec qui il a, par contre, bien peu d'affinités : Maximilien Robespierre*. Un tiers va favoriser leur rencontre : leur ami commun Camille Desmoulins*, le bouillant journaliste. Robespierre* est le témoin de Camille lors de son mariage avec Lucile Duplessis le 29 Décembre 1790.. Danton assiste également à la cérémonie ... (2) Les deux hommes vont donc avoir tout loisir de parler de la situation de la France, de la Révolution dans laquelle ils sont engagés et des difficultés qu’ils rencontrent..
Danton et Robespierre* ont actuellement, et c'est probablement ce qui les rapproche le plus, un ennemi commun : La Fayette*. C’est très surement l’un des sujets de leur conversation ce jour là…
Le mariage de Camille Desmoulins* et la rencontre qu’il aura permis aura eu au moins un résultat positif : à partir de Janvier 1791, Robespierre* et Danton vont prendre, ensemble, le chemin du Club des Jacobins. Robespierre* y est un des orateurs les plus écoutés; Danton va s'efforcer de polir un peu son langage, de châtier son vocabulaire, de préparer un peu mieux ses interventions, pour prendre part aux débats du Club sur des sujets divers. De cette tribune, il a même failli affronter Mirabeau*, mais le député d'Aix, qui vient de rompre avec Robespierre* après quelques mois de tension, ne tient pas à se mettre à dos un Danton qui l'aide, depuis bien longtemps, dans la lutte qu'il mène, lui aussi, contre La Fayette*. (3)
Le député d'Aix apportera même une aide directe à Danton, en faisant campagne pour lui lors de nouvelles élections des Administrateurs du Département de Paris. Danton y est enfin élu, très difficilement, le 31 Janvier 1791. Il aura du subir onze défaites en moins de quinze jours avant de décrocher, enfin, le poste tant convoité. Le 2 Février, il adresse à l'Assemblée électorale une lettre dans laquelle chacun des mots a été soigneusement pesé :
« Les suffrages dont m'honorent les véritables amis de la liberté ne peuvent rien ajouter aux sentiments de mes devoirs envers la patrie : la servir est une dette qui se renouvelle chaque jour et qui s'augmente à mesure que l'on trouve l'occasion de la mieux acquitter. J'ignore si je me fais illusion, mais j'ai l'honneur d'avancer que je ne tromperai pas les espérances de ceux qui ne m'ont point regardé comme incapable d'allier aux élans d'un patriotisme bouillant, sans lequel on ne peut concourir ni à la conquête ni à l'affermissement de la liberté, l'esprit de modération nécessaire pour goûter les fruits de notre heureuse révolution. »
« Jaloux d'avoir toujours pour ennemis les derniers partisans du despotisme abattu, je n'aspire point à réduire au silence la calomnie : je n'ai d'autre ambition que de pouvoir ajouter à l'estime des citoyens qui m'ont rendu justice celle des hommes bien intentionnés que de fausses préventions ne peuvent pas induire pour toujours dans l'erreur. »
« Quels que doivent être le flux et le reflux d'opinion sur ma vie publique, comme je suis convaincu qu'il importe à l'intérêt général que la surveillance sur les fonctionnaires du peuple soit sans borne, et son exercice sans danger, même pour ceux qui se permettraient des inculpations aussi fausses que graves, ferme dans mes principes et dans ma conduite, je prends l'engagement de n'opposer à mes détracteurs que mes actions elles-mêmes, et de ne me venger qu'en signalant de plus en plus mon attachement à la Nation, à la Loi, et au Roi, et mon dévouement éternel au maintien de la Constitution. » (4)
Après cet épisode des élections au Département de Paris, l'alliance entre Danton et Mirabeau* ne fait plus de doute pour personne, surtout après que Danton ait, en retour, soutenu Mirabeau* pour sa désignation au Directoire du Département. Robespierre* et ses amis n'oublieront pas cette alliance lorsqu'il s'agira de faire le procès de Danton.
Mirabeau*, lié à la Cour, sert-il d'intermédiaire entre le Ministre des Affaires Etrangères Montmorin et Danton qui reçoit, on le soupçonne fort, des fonds de la liste civile ? Ce qui n'est encore que bruits ou suppositions deviendra, dès le mois de Mars 1791, quasi certitudes.
(1) Club des jacobins : l'origine de ce Club, le plus célèbre de la Révolution, est à Versailles où les députés de Bretagne forment le Club breton peu après l'ouverture des Etats Généraux.
L'Assemblée s'étant transportée à Paris après le 6 Octobre 1789, le Club qui s'est ouvert à des députés originaires d'autres provinces, s'installe dans le couvent des Jacobins, Rue Saint-Honoré. La Société des Amis de la Constitution, émanation du Club Breton, devient rapidement le Club des Jacobins qui réunit, dès ses premiers temps près de deux cents députés. On y discute surtout des points qui sont portés à l'ordre du jour de l'Assemblée. Rapidement, le Club va s'ouvrir à tous et même créer des filiales en province : 152 en Juillet 1790.
Après la fusillade du Champs de Mars le 17 Juillet 1791, une partie de ses 1200 membres fait cessession pour former le Club des Feuillants.
Les Jacobins, malgré cette scission, prendront une importance considérable sous l'impulsion de Brissot, Pétion et Robespierre*, notamment dans la préparation des journées insurrectionnelles des 20 Juin et 10 Août 1792.
Après les élections de la Convention en Septembre 1792, les Girondins quitteront eux aussi le Club pour le laisser aux mains des Montagnards.
(2) Voir Camille Desmoulins*
(3) Voir Mirabeau*
(4) cité par André STIL "Quand Robespierre et Danton..." op. cit. Page 119
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (11/52)
DANTON S'ENNUIE – MORT DE MIRABEAU :
JANVIER - JUIN 1791