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5 septembre 2017 2 05 /09 /septembre /2017 08:00
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (45)

 

 

 

LA CARRIERE POLITIQUE DE MIRABEAU EST BRISEE :  NOVEMBRE 1789

 

 

 

 

 

    En choisissant le prétexte de la question des finances du royaume, toujours d’actualité, Mirabeau occupe à nouveau la tribune de l’Assemblée nationale le matin du 6 Novembre. Il rappelle la situation désastreuse du trésor, dénonce les maux chroniques que sont l’inflation et  la spéculation. Il répète, une fois encore, que l’accaparement, le désordre qui règne dans les prix et notamment le renchérissement des denrées de première nécessité, sont autant de facteurs qui risquent de conduire le pays vers des agitations sociales qu’il sera bien difficile de contenir. Rien de bien original dans tous ces propos, mais Mirabeau a évidemment une autre idée derrière la tête. Pour conclure, il annonce, tout de go, que toutes ces difficultés de l’Etat sont liées à une crise permanente entre le Ministère et l’Assemblée.

 

    En effet, la création de l’Assemblée nationale n’a pas remis en cause les règles en usage : les ministres, nommés par le Roi, peuvent être révoqués par le monarque, qui d’ailleurs ne s’en prive  pas depuis les événements de Juillet. Mais leur nomination n’est pas sanctionnée par l’Assemblée à qui ils n’ont, d’après les textes, aucun compte à rendre. Plus grave encore, l’action des ministres dans certaines affaires, va à l’encontre des décisions de l’Assemblée nationale, ce qui conduit à des conflits à peu près insolubles. Et, c’est ce que Mirabeau a entrepris de dénoncer avec, il est vrai, quelques arrière pensées.

 

«  Cherchons les moyens de mettre fin à toutes les contradictions qui ne cesseront de s’élever aussi longtemps que les ministres du Roi seront absents de l’Assemblée.

«  Quelle force publique parviendrons-nous à établir, si le pouvoir exécutif et la puissance législative, se regardant comme ennemis, craignent de discuter en commun sur la chose publique ? » (1)

 

    Pour parvenir à un fonctionnement plus convenable de la démocratie, basé sur le modèle anglais, Mirabeau propose aux députés de décider :

 

« .. que les ministres de Sa Majesté seraient invités à prendre dans l’Assemblée voix consultative, jusqu’à ce que la Constitution eut fixé les règles qui seraient suivies à leur égard » (2)

 

    La proposition de Mirabeau est plutôt bien accueillie. L’orateur est fort applaudi et l’issue du débat ne fait aucun doute, même si, ici ou là, quelques réserves sont exprimées par des députés qui tentent de démontrer que la méthode anglaise n’est pas, elle non plus, exempte de défauts. La séance est suspendue sans qu’aucune opposition ne se soit manifestée; la conclusion est remise à la séance du lendemain.

 

    Mais, durant la nuit du 6 au 7 Novembre 1789, certains vont s’appliquer à faire en sorte que le débat du lendemain prenne une toute autre tournure. Quelques députés ont en effet cru entrevoir, derrière l’intervention de Mirabeau, la volonté de ce dernier de s’ouvrir les portes du ministère. Sous couvert de plus de démocratie, le député d’Aix cherche manifestement à accéder au pouvoir exécutif. Qu’en serait-il si, après avoir pris une telle emprise sur les députés, il devenait un ministre influent ? Inquiet de cette situation, le petit groupe de députés que le projet de Mirabeau a fait sursauter, entament des conciliabules avec certains ministres. Necker, en particulier qui, encore une fois aujourd’hui s’est fait copieusement étriller par le député d’Aix, est décidé à ne pas laisser faire. Le Garde des Sceaux, Champion de Cicé (3), qui sans doute se croit lui aussi personnellement visé, organise la contre-offensive. Dans le courant de la nuit, la cabale contre Mirabeau prend une telle ampleur que La Marck en est informé. Il fait alors avertir le député d’Aix et lui recommande d’être sur ses gardes.

 

    Au matin du 7, la discussion reprend sur la motion de Mirabeau énoncée la veille. Il s’attend aux critiques qui vont lui être adressées puisque son ami La Marck l’a prévenu qu’une cabale avait été montée contre lui. Il a donc préparé un grand nombre de réponses et, comme chaque fois, il compte beaucoup sur ses talents d’orateur pour repousser les objections qui vont lui être faites. Mais, rien ne va se passer comme il l’avait prévu. Il attendait une opposition de droite et c’est de la gauche que vient celle-ci. Un député breton Lanjuinais (4), peu connu dans l’Assemblée, et probablement circonvenu durant la nuit par le clan Champion de Cicé-Necker, demande la parole dès l’ouverture du débat. Il rappelle que l’Assemblée nationale ne peut pas délibérer valablement  en présence des ministres et il poursuit :

 

«  .. nous avons voulu séparer les pouvoirs; et nous réunirions dans les ministres le pouvoir législatif au pouvoir exécutif et nous les exposerions à être le jouet des hommes ambitieux s’il s’en trouvait dans cette Assemblée. Un génie éloquent vous entraîne et vous subjugue. Que ne ferait-il pas s’il devenait ministre ?... »  (5)

 

    Aussi, conclut Lanjuinais, si la motion présentée par Mirabeau devait être adoptée, je propose de la compléter ainsi : « Pendant toute la durée de l’Assemblée, et même pendant trois ans après, les députés ne pourront obtenir du pouvoir exécutif aucune place, pension ou avancement. » (6)

   

Mirabeau a écouté, sans mot dire, la proposition de Lanjuinais qui est très vivement applaudie par les députés debout. Pendant un instant son visage se crispe, montrant qu’il ne s’attendait pas à une attaque aussi directe. Ses intentions ont été démasquées et il est évident qu’en cette matinée du 7 Novembre, il ne dispose plus dans l’Assemblée d’une majorité pour lui signer un chèque en blanc !..

 

    Mirabeau sait, tout de suite, qu’il a perdu la partie mais il ne renonce pas. On ne capitule pas avant de s’être battu : il va tenter le tout pour le tout; il va présenter sa défense et trouver les arguments pour démontrer la stupidité de la thèse qui lui est opposée :

 

«  Messieurs, la question que l’on vous pose est un problème à résoudre. Il ne s’agit que de faire disparaître l’inconnue, et le problème est résolu.

«  Je ne puis croire que l’auteur de la motion veuille sérieusement faire décider que l’élite de la nation ne peut pas renfermer un bon ministre; que la confiance accordée par la nation à un citoyen doit être un titre d’exclusion à la confiance du monarque; que le Roi, qui, dans des moments difficiles, est venu demander des conseils aux représentants de la grande famille, ne puisse prendre le conseil de tel de ces représentants qu’il voudra choisir; qu’en déclarant que tous les citoyens ont une égale aptitude à tous les emplois, sans autre distinction que celle des vertus et des talents, il faille excepter de cette aptitude et de cette égalité de droits les douze cents députés honorés du suffrage d’un grand peuple; que l’Assemblée nationale et le ministre doivent être tellement divisés, tellement opposés l’un à l’autre, qu’il faille écarter tous les moyens qui pourraient établir plus d’intimité, plus de confiance, plus d’unité dans les desseins et dans les démarches.

«  Non, Messieurs, je ne crois pas que tel soit l’objet de la motion, parce qu’il ne sera jamais en mon pouvoir de croire une chose absurde (...)

«  Je ne puis croire non plus que l’on veuille faire cette injure au ministère, de penser que quiconque en fait partie doit être suspect par cela seul à l’Assemblée législative;

«  A trois ministres déjà pris dans le sein de cette Assemblée, et presque d’après ses suffrages, que cet exemple a fait sentir qu’une pareille proposition serait dangereuse à l’avenir; (7)

«  A chacun des membres de cette Assemblée, que, s’il était appelé au ministère pour avoir fait son devoir de citoyen, il cesserait de le remplir par cela seul qu’il serait ministre (...)

«  Il faudrait peut-être examiner s’il dépend de cette Assemblée d’établir pour cette session une incompatibilité que les mandats n’ont pas prévue, et à laquelle aucun député ne s’est soumis.

«  Voudrait-on défendre à chacun des représentants de donner sa démission ? Notre liberté serait violée.

«  Voudrait-on empêcher celui qui a donné sa démission d’accepter une place dans le ministère ? C’est la liberté du pouvoir exécutif que l’on voudrait limiter.

«  Voudrait-on priver les mandants du droit de réélire le député que le monarque appellerait dans son conseil ? Ce n’est point alors une simple loi de police qu’il s’agit de faire, c’est un point de Constitution qu’il faut établir (..)

 

«  Je me dis : le ministère sera-t-il toujours assez bien choisi pour que la nation n’ait aucun changement à désirer ? Fut-il choisi de cette manière, un tel ministère sera-t-il éternel ?

«  Je me dis encore : le choix des bons ministres est-il si facile qu’on ne doive pas craindre de borner le nombre de ceux parmi lesquels un tel choix peut être fait ? (..)

«  Non, Messieurs, je ne puis croire à aucune de ces conséquences, ni, par cela même, à l’objet apparent de la motion que l’on vient de vous proposer. Je suis donc forcé de penser, pour rendre hommage aux intentions de celui qui l’a faite, que quelque motif secret la justifie, et je vais tacher de le deviner (..)

«  Il n’y a, Messieurs,  que deux personnes dans l’Assemblée qui puissent être l’objet secret de la motion. Les autres ont donné assez de preuves de liberté, de courage et d’esprit public pour rassurer l’honorable député; mais il y a deux membres sur lesquels, lui et moi, nous pouvons parler avec plus de liberté, qu’il dépend de lui et de moi d’exclure; et certainement sa motion ne peut porter que sur l’un des deux.

«  Quels sont ces membres ? Vous l’avez deviné, Messieurs, c’est ou l’auteur de la motion ou moi. Je dis d’abord l’auteur de la motion, parce qu’il est possible que sa modestie embarrassée ou son courage mal affermi aient redouté quelque grande marque de confiance, et qu’il ait voulu se ménager le moyen de la refuser en faisant admettre une exclusion générale. Je dis ensuite moi-même, parce que des bruits populaires répandus sur mon compte ont donné des craintes à certaines personnes, et peut-être des espérances à quelques autres; qu’il est très possible que l’auteur de la motion ait cru ces bruits; qu’il est très possible qu’il ait de moi l’idée que j’en ai moi-même; et dès lors je ne suis pas étonné qu’il me croit incapable de remplir une mission que je regarde fort au-dessus non de mon zèle ni de mon courage, mais de mes lumières et de mes talents, surtout si elle devait me priver les leçons et des conseils que je n’ai cessé de recevoir dans cette Assemblée.

« Voici, Messieurs, l’amendement que je vous propose, c’est de borner l’exclusion demandée à M. de Mirabeau, député des communes de la Sénéchaussée d’Aix.

«  Je me croirai fort heureux si, au prix de mon exclusion, je puis conserver à cette Assemblée l’espérance de voir plusieurs de ses membres, dignes de toute ma confiance et de tout mon respect, devenir les conseillers intimes de la nation et du Roi, que je ne cesserai de regarder comme indivisibles. » (8)

 

   Mirabeau a mis tout son humour et tout son génie oratoire dans cette justification. Malgré cela, il ne parvient pas à convaincre. L’Assemblée cette fois ne le suit plus et vote la proposition de Lanjuinais.

 

     Mirabeau doit définitivement renoncer à la seule place qu’il convoite depuis plusieurs mois, celle de ministre. Sa carrière politique se brise en cette journée du 7 Novembre 1789.

 

 

 

 

 

 

(1)   Cité par duc de CASTRIES  « Mirabeau »  op. cit. Pages 395-396

 

(2)   Cité par Guy CHAUSSINAUD-NOGARET  « Mirabeau entre le Roi et la Révolution »  op. cit. Page 296

 

(3)   CHAMPION de CICE (Jérôme Marie) : Né à Rennes le 3 Septembre 1735. Evêque de Rodez en 1770, Archevêque de Bordeaux en 1781, il participe à l’Assemblée des Notables en 1787 avant d’être élu aux Etats Généraux où il sera l’un des premiers prélats à rejoindre le Tiers Etat.

Louis XVI* le nomme Garde des Sceaux le 3 Août 1789 et c’est à ce poste qu’il sera conduit à publier la Constitution Civile du Clergé pour laquelle il refusera de prêter serment. Il démissionne le 20 Novembre 1790 puis quitte la France pour l’Angleterre.

Il reviendra en France en 1802, sera alors nommé Archevêque d’Aix et comte d’Empire en 1808. Il mourra à Aix le 19 Août 1810.

 

(4)   LANJUINAIS (Jean Denis) : Né à Rennes le 12 Mars 1753. Avocat et professeur de droit ecclésiastique à l'Université de Rennes, il prend, dès 1788, parti contre la noblesse et ses privilèges. Elu aux Etats Généraux, il est l'un des fondateurs du Club Breton qui deviendra le Club des Jacobins. Son action est très importante au Comité ecclésiastique de l'Assemblée dans lequel il travaille à la Constitution Civile du Clergé.

Officier Municipal de Rennes pendant la Législative, il est élu à la Convention et il va faire tout son possible pour empêcher le procès de Louis XVI* puis pour combattre la peine de mort. Après la chute des Girondins, qu'il défendra également avec tous ses moyens, il doit fuir Paris pour ne pas être arrêté. Il réapparaîtra à la Convention après le 9 Thermidor.

Elu au Conseil des Anciens jusqu'en Mai 1797, il est très populaire dans les provinces mais détesté à Paris. Il sera ensuite successivement sénateur, à la demande de Bonaparte, membre de l'Institut en 1808 puis Comte d'Empire et pair de France.

Il mourra à Paris le 13 Janvier 1827.

 

(5)   Cité par duc de CASTRIES  « Mirabeau »  op. cit. Page 398

 

(6)   Idem

 

(7)   Il s’agit de Champion de Cicé, Gardes des Sceaux, Le Franc de Pompignan, Ministre d’Etat chargé de la Feuille des bénéfices, tous deux députés du clergé et de La Tour du Pin-Gouvernet, Ministre de la Guerre, député de la noblesse.

 

(8)   Archives Parlementaires  t. IX, pages 716 à 718

in François FURET et Ran HALEVI « Orateurs de la Révolution française » op. cit. Vol 1, pages 717 à 720

 

 

 

 

ILLUSTRATION : Jean Denis LANJUINAIS

 

 

 

 

A SUIVRE:

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (46)

LE TRIOMPHE DE L’ELOQUENCE : DECEMBRE 1789 -

JANVIER 1790

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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