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4 septembre 2017 1 04 /09 /septembre /2017 08:00
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (43)

 

 

 

 

MIRABEAU VEUT SON MINISTERE : OCTOBRE 1789

 

 

 

 

 

    Décidément, l’attitude de Mirabeau est si déconcertante qu’il est bien difficile de le suivre. Il est quasi-certain qu’il n’a pris aucune part dans la manifestation des 5 et 6 Octobre. Quel intérêt aurait-il eu à créer une situation de désordre alors qu’il jouit d’un pouvoir dans le pays qui, d’une semaine à l’autre, peut le porter à de grandes responsabilités ? Pourquoi donc aurait-il manigancé avec le duc d’Orléans, en admettant que celui-ci soit dans le coup, une opération aussi risquée ?

    Non. Mirabeau attend son heure. Il a la certitude que le pouvoir ne peut lui venir que du roi. Il croit à la monarchie et, au matin du 7 Octobre, il est convaincu qu’elle est véritablement menacée. Il se rend donc chez son ami La Marck et propose au comte d’élaborer un plan d’évasion pour la famille royale. La Marck n’hésite pas une seconde : « occupez-vous de bâtir votre plan », répond-t-il à Mirabeau,  « je saurai bien le faire parvenir au roi... »

 

    Mirabeau se met donc aussitôt au travail. La rédaction de son plan ne lui demande que quelques jours; le 15 Octobre il remet au comte de La Marck un document dans lequel il expose ses idées avec force détails. Des idées qu’il reprendra dans les mois qui vont suivre, sous d’autres formes, mais qui ne varieront guère au cours du temps :

 

    1° Le roi a été contraint de résider à Paris : une partie de la nation va donc refuser d’obéir à un souverain qui n’est plus libre.

    2° Le roi est inséparable de la Révolution. Il ne peut s’appuyer que sur le peuple et, pour cela, il doit lui garantir ses conquêtes sociales.

    3° Le roi doit agir avec énergie; gagner la Normandie, région fidèle à la couronne, plutôt que l’Est qui est trop proche de l’étranger et de certains émigrés. De là il fera une déclaration solennelle pour rappeler que seul compte pour lui l’amélioration du sort du peuple.

    4° Le roi appellera l’Assemblée nationale à lui. Si elle vient, la cause est gagnée; si elle ne vient pas, il convoquera une nouvelle législature.

 

    La Marck écoute tous les arguments que lui présente Mirabeau avec attention. Tout de suite il est séduit par son plan. Il reconnaît que la monarchie et, avec elle, l’Assemblée nationale sont en fâcheuse posture depuis que Louis XVI* a été ramené aux Tuileries. Il reproche une nouvelle fois à Mirabeau l’inconscience avec laquelle il a fait voter ce malencontreux décret qui lie le sort de l’Assemblée à celui du monarque. Mirabeau reconnaît ses torts. Il s’est, une fois de plus, laisser emporter par ses convictions. Il promet de mieux se dominer à l’avenir.

    Il reste à faire passer le plan au roi. La voie de Marie-Antoinette* est exclue d’emblée car la reine ne veut toujours pas entendre parler de Mirabeau. La Marck pense alors au frère cadet du roi, le comte de Provence.

    Un rendez-vous est pris pour la nuit du 15 au 16 Octobre. La Marck expose à son interlocuteur les dangers qui menacent Louis XVI* et sa famille. Il dresse un tableau très précis de la situation, des difficultés que va éprouver l’Assemblée qui siège maintenant à Paris. Il vante les qualités de son ami Mirabeau; explique au frère du roi que cet homme là a acquis un tel pouvoir dans l’Assemblée et une telle renommée auprès du peuple qu’il est impossible que la Cour puisse se passer de ses services. Il sort alors le plan de Mirabeau et le commente, dans tous ses détails, au comte de Provence. Ce dernier admet volontiers que la situation est extrêmement grave et que le plan de Mirabeau, pour lequel il n’éprouve aucun a priori, est fort bien construit. Mais il est convaincu que Louis XVI* n’acceptera jamais de jouer le rôle qu’on a envisagé pour lui. La Marck insiste, demande que l’on en parle à la reine, mais Provence lui avoue que l’indécision du roi a atteint un tel stade qu’il est devenu incapable de se prononcer, quel que soit le problème posé !...

 

    La Marck a échoué. Il rend compte à Mirabeau de son entrevue avec le comte de Provence dans les premières heures du 16 Octobre. Mirabeau est atterré quand il apprend la nouvelle; il ressent cet échec comme un échec personnel. Son plan dans les mains du roi était pour lui le gage d’obtenir, dans un proche avenir, une fonction importante, un poste de ministre, peut être le poste de Premier ministre qui lui aurait permis de devenir le plus proche conseiller du roi à un moment où celui-ci a bien besoin de soutien. Comment peut-on refuser les services d’un homme comme lui ?

    Mirabeau ne renonce pas pour autant; ce n’est pas dans son style !.. Ce ministère il le veut, et vite. Il va donc attaquer sur tous les fronts à la fois. Dans la soirée du 16 Octobre, il organise une conférence avec tous ceux qui, actuellement, détiennent une partie du pouvoir et qui sont susceptibles de défaire le ministère en place pour lui permettre d’y entrer. Il s’agit de La Fayette*, bien sûr, des Duport, Barnave (1), des frères Lameth. Aucun des participants n’a la moindre estime pour Mirabeau mais tous se sont empressés d’accepter l’invitation car ils connaissent le pouvoir du député d’Aix sur les masses. Tous redoutent les réactions du tribun qui parfois sont pour le moins imprévisibles. On évoque la situation du roi, celle de l’Assemblée; on déplore la faiblesse des ministres en feignant de croire qu’ils ne savent pas conseiller le roi !.. Personne évidemment n’ose aborder le sujet auquel tout le monde pense : qui pourrait occuper une place dans un futur ministère ? Tous les acteurs de cette rencontre sont candidats à la fonction; aucun ne voudra l’avouer !.. On convient tout de même, avant de se quitter, que La Fayette* accompagnera Mirabeau chez Montmorin le lendemain 17 Octobre et, qu’à la suite de cette entrevue, Mirabeau pourrait rencontrer Necker en tête à tête.

 

    L’entrevue avec Montmorin, au matin du 17, se passe très mal. Le ministre reçoit Mirabeau comme un quémandeur, le dialogue est très bref, la question du ministère n’est même pas abordée.

    L’après-midi, la rencontre avec Necker est tout aussi infructueuse. La dernière fois que les deux hommes se sont rencontrés leur conversation a duré trois minutes. Cette fois elle va durer cinq heures, mais elle n’apportera guère à Mirabeau davantage d’éléments. Il sort de chez Necker fou de rage. Son opinion est définitivement faite sur « .. le misérable charlatan qui a mis le trône et la France à deux doigts de leur perte et qui s’obstine à la consommer plutôt que de s’avouer à soi-même son incapacité.. »

 

    Encore un nouvel échec qui conduit Mirabeau à se ressaisir. Il ne faut surtout pas qu’il perde la place qu’il occupe à l’Assemblée. Il doit conserver le pouvoir qu’il a sur les députés. Il lui faut donc être présent, tout le temps. Il lui faut donc s’exprimer, chaque fois que c’est possible, et rester l’homme fort de la Constituante. C’est sa seule chance de jouer un rôle important !..

 

    Le 19 Octobre, lors de la première séance de l’Assemblée à Paris, Mirabeau est à la tribune. Il demande aux députés de voter une motion de félicitations en faveur de La Fayette* et Bailly.  Il s’agit pour Mirabeau de s’attirer les faveurs du « Héros des deux Mondes », qui vient d’affermir son autorité, et de bien montrer à Bailly, Président de l’Assemblée, qu’il ne cherche pas à lui ravir sa place.

 

«  Messieurs, la première de nos séances dans la capitale n’est-elle point la plus convenable que nous puissions choisir pour remplir une obligation de justice, et, je puis ajouter, un devoir de sentiment ?

«  Deux de nos collègues, vous le savez, ont été appelés par la voix publique à occuper les deux premiers emplois de Paris, l’un dans le civil, l’autre dans le militaire. Je hais le ton des éloges, et j’espère que nous approchons du temps où l’on ne louera plus que par le simple exposé des faits. Ici les faits vous sont connus. Vous savez dans quelle situation, au milieu de quelles difficultés vraiment impossibles à décrire, se sont trouvés ces vertueux citoyens. La prudence ne permet pas de dévoiler toutes les circonstances délicates, toutes les crises périlleuses, tous les dangers personnels, toutes les menaces, toutes les peines de leur position dans une ville de sept cent mille habitants, tenue en fermentation continuelle, à la suite d’une résolution qui a bouleversé tous les anciens rapports; dans un temps de troubles et de terreurs, où des mains invisibles faisaient disparaître l’abondance, et combattaient secrètement tous les soins, tous les efforts des chefs pour nourrir l’immensité de ce peuple, obligé de conquérir, à force de patience, le morceau de pain qu’il avait déjà gagné par ses sueurs.

«  Quelle administration ! quelle époque où il faut tout craindre et tout braver; où le tumulte renaît du tumulte; où l’on produit une émeute par les moyens qu’on prend pour la prévenir; où il faut sans cesse de la mesure et où la mesure parait équivoque, timide, pusillanime; où il faut déployer beaucoup de force et où la force parait tyrannie; où l’on est assiégé de mille conseils, et où il faut le prendre de soi-même; où l’on est obligé de redouter jusqu’à des citoyens dont les intentions  sont pures, mais que la défiance, l’inquiétude, l’exagération rendent presque aussi redoutables que des conspirateurs (..)

«  Je vous propose, Messieurs, de voter des remerciements à ces deux citoyens pour l’étendue de leurs travaux et leur infatigable vigilance. On pourrait dire, il est vrai, que c’est un honneur réversible à nous-mêmes, puisque ces citoyens sont nos collègues. Mais ne cherchons point à le dissimuler, nous sentirons un noble orgueil, si l’on cherche parmi nous les défenseurs de la patrie et les appuis de la liberté (..)

«  Ne craignons point de marquer notre reconnaissance à nos collègues, et donnons cet exemple à un certain nombre d’hommes qui, imbus de notions faussement républicaines, deviennent jaloux de l’autorité au moment même où ils l’ont confiée, et, lorsqu’à un terme fixé ils peuvent la reprendre; qui ne se rassurent jamais ni par les précautions des lois, ni par les vertus des individus; qui s’effraient sans cesse des fantômes de leur imagination; qui ne savent pas qu’on s’honore soi-même en respectant les chefs qu’on a choisis; qui ne se doutent pas assez que le zèle de la liberté ne doit point ressembler à la jalousie des places et des personnes; qui accueillent trop aisément tous les faux bruits, toutes les calomnies, tous les reproches (...)

«  Je crois donc, Messieurs, que le sentiment d’équité, qui nous porte à voter des remerciements à nos deux collègues, est encore une invitation indirecte, mais efficace, une recommandation puissante à tous les bons citoyens de s’unir à nous pour faire respecter l’autorité légitime, pour la maintenir contre les clameurs de l’ignorance, de l’ingratitude ou de la sédition, pour faciliter les travaux des chefs, leur inspection nécessaire, l’obéissance aux lois, la règle, la discipline, la modération, toutes ces vertus de la liberté.. »  (2)

 

 

    Mirabeau prend soin de ménager les hommes forts du moment, mais du même coup, il fait passer quelques « messages » qui lui tiennent à cœur.

 

   Quelques jours plus tard, Mirabeau a déjà changé de stratégie. Il vient de découvrir une nouvelle voie pour accéder au ministère. Après avoir compté successivement, et sans succès, sur le roi, la reine; il s’est appuyé sur le « triumvirat » constitué par Duport, Barnave et Lameth; il a flatté La Fayette*, Bailly et Montmorin; il a échoué auprès de Necker. Il sait maintenant qui peut le porter au poste qu’il convoite : l’Assemblée !..

 

 

 

 

 

 

(1)   BARNAVE (Antoine Pierre Joseph Marie) : Né à Grenoble le 21 Septembre 1761. Brillant avocat, il est l'un des premiers meneurs des journées révolutionnaires de 1788. Elu aux Etats Généraux, il séduit par ses qualités d'orateur. Avec ses amis Duport et les frères Lameth, il constitue le premier état major de l'opposition et rédige le règlement du Club des Jacobins. En Janvier 1791, il adopte des positions de gauche exigeant le serment des prêtres à la Constitution civile du clergé. Devenu plus modéré, il est chargé de ramener la famille royale de Varennes à Paris et tombe éperdument amoureux de la Reine. Il devient alors le défenseur acharné de la monarchie et établit avec la Cour des contacts secrets. Voyant que ceux-ci ne peuvent aboutir, il rentre en Dauphiné en Janvier 1792 et est arrêté sur ordre de la Législative le 15 Août 1792, puis traduit devant le Tribunal révolutionnaire. Il sera guillotiné à Paris le 29 Novembre 1793.

 

(2)   Archives Parlementaires  tome. IX, pages 459-460

in François FURET et Ran HALEVI « Orateurs de la Révolution française » op. cit. Vol 1, pages 690 à 692

 

 

 

 

ILLUSTRATION : Antoine Barnave

 

 

 

 

A SUIVRE

 

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (44)

MIRABEAU TIENT L’ASSEMBLEE : OCTOBRE - NOVEMBRE 1789

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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