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25 août 2017 5 25 /08 /août /2017 07:00
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (25)

 

 

 

 

PREMIERE RENCONTRE AVEC LE ROI DE PRUSSE : 1786

 

 

 

 

 

 

    Après avoir parcouru la Suisse, l'Angleterre, la Hollande, Mirabeau pose ses valises à Berlin le 20 Janvier 1786. Mais ce déplacement à l'extérieur des frontières françaises n'a rien de comparable avec les précédents : il était autrefois en fuite pour échapper à la police; il est aujourd'hui l'envoyé spécial du ministre Calonne. Certes, la mission qui lui a été confiée est bien imprécise ! Certes, nombreux sont ceux qui, à Paris, ne sont pas loin de penser qu'il s'agit là d'un exil déguisé. Ils ont d'ailleurs poussé un soupir de soulagement en apprenant le départ de Mirabeau car ils savent bien que l'homme est beaucoup moins redoutable à Berlin que dans les allées du pouvoir en France.. C'est aussi la conclusion à laquelle est arrivé Calonne !

    Gabriel-Honoré est, lui, totalement satisfait. Il est peut-être le seul à avoir clairement en tête les contours de la mission qui lui a été confiée. On lui demande de jouer un rôle d'éminence grise et c'est justement de cela dont il rêve depuis fort longtemps. Agent secret et, de surcroît, bien rémunéré, Mirabeau a, en effet, toutes les raisons d'être satisfait de sa situation.

 

    D'autant que Calonne a bien fait les choses; il a même accepté de financer les frais du voyage. Aussi Mirabeau s'est-il embarqué avec toute sa petite famille, et même ses domestiques. Il a fait suivre le petit Jean-Marie Nicolas, que tout le monde appelle désormais Coco (1), et qui a bientôt quatre ans. Et puis, la belle hollandaise Yet-Lie (2), qui ne quitte plus Mirabeau depuis deux ans, et dont il semble de plus en plus amoureux.

 

    L'accueil que la Cour de Prusse réserve à l'envoyé de Calonne est plutôt froid. Dans une note adressée au Ministre des Affaires Etrangères Vergennes, l'Ambassadeur de France à Berlin, qui manifestement n'a pas été informé par Paris de la "mission" de Mirabeau, commente ainsi l'arrivée de celui-ci :

 

«  Nous avons ici le comte de Mirabeau, auteur de tant de brochures ! Je crois qu'il veut se fixer à Berlin pour y être imprimé en toute liberté et, dans ce projet, il ne pouvait mieux choisir sa résidence, étant certain que, pourvu qu'il ne dise du bien de la cour de Vienne, il pourra médire en paix de Dieu, de ses Saints et de tous les rois de la terre, sans excepter le roi de Prusse. » (3)

 

    Mirabeau s'est installé confortablement à l'hôtel. Sans douter un seul instant des hautes responsabilités que le Ministère a bien voulu lui accorder, il fait porter, sans tarder,  une lettre à Frédéric II :

 

«  Sire,

 

«  C'est trop présumer peut-être que de demander une audience à Votre Majesté, quand on ne saurait l'entretenir d'aucune affaire qui puisse l'intéresser particulièrement. Mais si vous pardonnez à un Français qui, dès sa naissance, a trouvé le monde rempli de votre nom, le désir de voir le plus grand homme de ce siècle et de tant d'autres, de plus près qu'on ne voit ordinairement les rois, vous daignerez m'accorder la faveur d'aller vous faire ma cour à Postdam.

«  Je suis avec un très profond respect... »  (4)

 

    L'entrevue avec le roi de Prusse est bien, dans l'esprit de Mirabeau, la première démarche à entreprendre dans le cadre de sa mission. Alors pourquoi tarder ? Il joint à sa lettre un paquet des livres publiés sous son nom. Ils représentent sa seule carte de visite ! Il prend soin de ne pas oublier le fascicule contre les prétentions de Joseph II sur les Bouches de l'Escaut, car il n'ignore pas, évidemment, la haine de Frédéric II pour tout ce qui touche, de près ou de loin, au parti autrichien...

    Mirabeau met tous les atouts de son côté car il sait parfaitement que le Grand Frédéric ne reçoit pratiquement plus aucun étranger depuis plusieurs mois. Sans doute parvient-il à faire vibrer la corde sensible du roi de Prusse ou à exciter sa curiosité car, dès le 23 Janvier 1786, Frédéric II dicte une réponse à l'attention du comte de Mirabeau : il accepte volontiers de le recevoir.

 

« Monsieur le comte de Mirabeau,

« Je serai bien aise de faire votre connaissance et je suis bien sensible à l'offre que vous venez de me faire de vous rendre ici pour cet effet. Si vous voulez me faire ce plaisir après demain 25 de ce mois, et vous adresser au général major, comte de Goertz, je pourrai vous voir encore le même jour, et, en attendant, je prie Dieu qu’il vous ait monsieur le comte de Mirabeau en sa sainte et digne garde….... » (5)

 

    L'audience est prévue pour le surlendemain. Mirabeau quitte donc très vite Berlin pour gagner Postdam distant de quelques lieues. Il découvre avec un certain émerveillement, les fastes de cette ville impériale. Postdam c'est Versailles. La cour de Frédéric II n'a rien à envier à celle des rois de France. Le luxe des palais ressemble beaucoup à celui qu'ont voulu Louis XIV ou Louis XV dans leurs châteaux.

    Passées la surprise et l’admiration pour les splendeurs architecturales de la ville impériale, Mirabeau est gagné par l'émotion car Frédéric II est le premier souverain qu'il a l'occasion d'approcher d'aussi près. Et c'est probablement le plus grand monarque de toute l'Europe.

  On dit Frédéric II mourant. Il est vrai qu'il atteint ses soixante-quinze ans et occupe maintenant le trône de Prusse depuis près de quarante-sept années. Un record de longévité qui donne à penser que le pouvoir absolu confère des vertus surnaturelles à ceux qui l'exercent. La première impression de Mirabeau, en apercevant Frédéric, n'est pas très élogieuse à l'égard du souverain le plus puissant d'Europe. Il découvre un homme pitoyable qu'il décrit, dans une note rédigée le soir même, comme :

 

«  ... Un vieux paquet d'os puant à force de saleté, d'une lividité impressionnante, enveloppé dans une robe de chambre en velours cramoisi saupoudrée de tabac, les jambes enfoncées dans des bottes fendues pour qu'il puisse les enfiler, resserrées ensuite avec des bandelettes de chirurgien... » (6)

 

    Mirabeau est-il impressionné par la dégradation physique du vieux souverain ? Est-il, pour une fois, intimidé d'être seul en présence d'un personnage d'une telle stature ? Quoi qu'il en soit, il ne parvient pas, devant Frédéric II, à déployer tous les talents de séducteur dont il sait si bien faire usage dans des circonstances plus habituelles. La conversation engagée entre les deux hommes à propos des ouvrages de Mirabeau, que Frédéric s'est sûrement donné le mal de parcourir, tourne court rapidement. Au bout de quelques instants seulement les deux hommes ne trouvent plus rien à se dire et le souverain signifie à son visiteur que l'audience est terminée.

    Mirabeau s'en veut beaucoup de cette occasion manquée; d'autant plus qu'il s'en attribue l'entière responsabilité. Dès le lendemain il essaie de se racheter en proposant, par écrit, ses services au roi de Prusse. Mais il est trop tard. Frédéric II lui répond courtoisement, mais fermement, qu'il n'a pas besoin de lui.

 

    Puisqu'il est maintenant installé à Berlin, l’émissaire de Calonne est bien décidé à essayer de faire ici quelque chose qui soit à la hauteur de ses compétences. Quoi ? Il ne le sait pas encore... Il sait tout de même que le fait d'avoir obtenu, aussi rapidement, une audience auprès du vieux roi lui a ouvert quelques portes. Il est reçu, à Berlin, par bon nombre de gens importants. En particulier, il est introduit auprès du Prince Henri de Prusse, le cadet du roi Frédéric, avec qui il va se lier d'amitié.

 

    Fort de ces appuis, Mirabeau attend toujours de Frédéric II qu'il lui accorde un poste de responsabilité, si possible bien rémunéré, mais ce poste tarde beaucoup à venir. Il se décide donc à le solliciter, une fois de plus et de manière très explicite :

 

«  Bien mal récompensé des véritablement grands services que j'ai rendu en France, compromis dans ma sûreté et presque dans ma réputation par le ministre actuel parce que je n'ai pas voulu me mêler de son dernier emprunt (7) (...) tourmenté du désir peu raisonnable peut-être de me faire regretter en France, je l'ai quittée dans la ferme résolution de n'y rentrer aussi longtemps que je serais jeune, que pour recueillir l'héritage considérable de mon père. Je pousserai donc jusqu'en Russie.. Certes, je n'aurais pas été chercher dans cette nation ébauchée et cette contrée sauvage s'il ne me paraissait que votre gouvernement est trop complètement organisé pour que je puisse me flatter d'être utile à Votre Majesté. La servir et non pas siéger dans les académies eût sans doute été la première de mes ambitions, Sire. Mais les orages de ma première jeunesse, les déceptions de mon pays ont trop longtemps détourné mes idées de ce beau dessein et je crains qu'il ne soit trop tard... » (8)

 

    Frédéric II ne fera qu'une réponse évasive, à la lettre de Mirabeau. Il laissera bien entrevoir la possibilité d'une audience, mais à une date restant à préciser...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1 - Il s'agit du fils que Mirabeau a eu en 1782 avec la femme peu farouche du sculpteur Lucas de Montigny.

 

2 - Diminutif de Henriette-Amélie Van Haren. Il s'agit bien sûr de Madame de Nehra.

 

3 - Archives des Affaires Etrangères de Prusse.

Cité par Claude MANCERON  "Les Hommes de la Liberté"  op. cit. Vol IV, page 185

 

4 - Cité par Claude MANCERON  "Les Hommes de la Liberté"  op. cit. Vol IV, page 199

Et Henri WELSCHINGER “La Mission secrète de Mirabeau à Berlin”  Paris, Plon, 1900, page 8

 

5 - Correspondance de Frédéric II roi de Prusse. : idem

 

6 - Détails fournis par Claude MANCERON  "Les Hommes de la Liberté"  op. cit. Vol IV, page 203

 

7 - Il s'agit bien évidemment de Calonne.

 

8 - Cité par Duc de CASTRIES  "Mirabeau"  op. cit. Page 235

 

 

 

 

ILLUSTRATION : Frédéric II de Prusse

 

 

 

 

 

 

A SUIVRE

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (26)

LETTRE OUVERTE AUX MONARQUES DE L'EUROPE : 1786

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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