LA LIBERTE DES GENEVOIS : 1782
Vers le milieu du mois de Septembre 1782, Mirabeau rend visite à son imprimeur de Neuchâtel. Il a dans sa valise trois ouvrages d'importances et de qualités tout à fait inégales : « Ma Conversion », dont on a vu qu'il était un recueil de fantasmes, émaillé de pornographie, sans aucune valeur littéraire; « L'espion Dévalisé » et « Des Lettres de Cachet et des Prisons d'Etat ». L'éditeur achète les trois à Mirabeau qui, à vrai dire, comptait beaucoup sur cela pour payer, au moins en partie, les dettes qu'il a de nouveau accumulées. Les ouvrages seront publiés sans nom d'auteur. Mirabeau, en effet, ne court pas après la gloire; c'est de l'argent dont il a un besoin urgent pour reprendre une vie « normale » !..
Alors qu'il séjourne, pour quelques jours dans une auberge de la ville, il reçoit la visite d'un homme et cette rencontre va marquer l'histoire de la révolution française. L'homme se nomme Jean-Jacques-Pierre Brissot (1), il se fait appeler Brissot de Warville, du nom de son village natal. Philosophe, écrivain, publiciste, Brissot est tout cela à la fois, mais il a pratiquement tout raté. Aussi s'est-il mis en devoir de défendre la liberté des Genevois opprimés. Il a probablement lu quelques uns des écrits de Mirabeau et pense que ce dernier pourrait lui être utile.
Dans ce combat pour la liberté, Brissot a reçu le soutien de deux bourgeois genevois en exil qu'il présente, sans tarder, à Mirabeau : l'un s'appelle Clavière (2), l'autre Du Roveray.
Clavière, né à Genève en 1735, est le futur ministre des Finances de Louis XVI*. Quant à Du Roveray qui est avocat, il deviendra le secrétaire particulier de Talleyrand (3).
Une amitié solide va lier ces trois hommes à Mirabeau. Brissot, que Mirabeau retrouvera quelque temps plus tard en Angleterre, deviendra le chef des Girondins et fera preuve d'un grand talent. Clavière et Du Roveray se mettront au service de Mirabeau pour rédiger son « Courrier de Provence » qui fera du bruit dans la France entière en 1789.
Au contact de ces jeunes gens, Mirabeau s'enflamme aussitôt pour la cause des genevois et adresse à Vergennes, ministre des Affaires Etrangères, un volumineux mémoire dans lequel il décrit au ministre quelles sont les mesures à prendre à Genève et quels sont les intérêts de la France dans cette ville occupée.
Vergennes lira avec toute l'attention requise les recommandations de Mirabeau. Il sera même, parait-il, assez surpris de la clairvoyance de cet homme qui a tellement fait parler de lui et pas souvent en termes élogieux !.. Le ministre ne changera évidemment pas d'un iota la politique de la France à l'égard de Genève, mais il sera dorénavant un peu plus bienveillant à l'égard de Mirabeau fils.
A la grande surprise de Mirabeau lui-même, son ouvrage « Des Lettres de Cachet.. » remporte un franc succès. L'éditeur avouera en avoir vendu près de quinze mille exemplaires en très peu de temps. Mais les idées subversives qui sont développées dans ce livre ne vont pas plaire à tout le monde. C'est Frédéric II de Prusse qui est le premier à prendre ombrage des critiques virulentes de la monarchie qui émaillent le texte de Mirabeau. La police perquisitionne chez l'éditeur et jette celui-ci en prison en attendant qu'il révèle le nom de l'auteur du pamphlet. Evidemment il ne dira rien mais Mirabeau, pour que l'on rende sa liberté à ce pauvre homme, ira avouer qu'il est bien l'auteur anonyme que l'on recherche. Aussitôt il est expulsé de Neuchâtel et, ne sachant très bien où aller, il prend la route de la Provence...
1 - BRISSOT (Jacques Pierre, dit de Warville) : Né à Chartres le 15 Janvier 1754, il a une jeunesse aventureuse au cours de laquelle on l'entr'aperçoit comme écrivain à gages, prisonnier à la Bastille pour avoir écrit des pamphlets contre la reine, fuyant en Angleterre pour échapper à la police ou aux Etats Unis pour se faire oublier.
C’est à son retour des Etats-Unis qu’il fonde son journal « Le Patriote français » avant d’être élu à la Législative.
Il demande la déchéance du roi après Varennes et se fait le principal artisan de la guerre contre l’Autriche après avoir affronté Robespierre pendant plusieurs mois.
Au lendemain du 10 Août 1792, il est nommément dénoncé par Robespierre. Elu à la Convention par trois départements, il est à nouveau accusé aux Jacobins le 23 Septembre et exclu le 12 Octobre 1792.
Lors du procès du roi, après avoir voté pour l’appel au peuple, il vote la mort mais avec le sursis.
Après la trahison de Dumouriez, Brissot est accusé par Robespierre d’être l’ami du général mais la Convention refuse la mise en accusation de Brissot et de ses amis. Cela n’empêchera pas Brissot de continuer ses attaques contre les Jacobins et contre la Montagne. Le 2 Juin 1793 il est décrété d’accusation, réussit à s’enfuir mais est finalement arrêté et incarcéré à la Conciergerie.
Le 30 Octobre 1793, il est condamné à mort et guillotiné avec ses collègues Girondins le lendemain.
2 - CLAVIERE (Etienne) : Né à Genève le 27 Janvier 1735. Attiré par les idées de la Révolution, ce financier genevois vient à Paris en 1789. Collaborateur de Mirabeau*, ami de Brissot*, il s'inscrit au Club des Jacobins. Il sera imposé par Brissot* comme ministre des Contributions en Mars 1792.
Arrêté avec les Girondins le 2 Juin 1793, il ne sera pourtant pas jugé avec eux en Octobre.
Il se suicide le 8 Décembre 1793 en apprenant qu'il va être traduit devant le Tribunal révolutionnaire le lendemain.
3 - TALLEYRAND (Charles Maurice de Talleyrand-Périgord) : Né dans une très grande famille le 2 Février 1754 il choisit, sans doute à cause de son infirmité (il avait un pied bot), l'état ecclésiastique. Agent Général du Clergé en 1780, il devient évêque d'Autun en 1788 et est élu aux Etats Généraux. Il approuve le principe de la Constitution Civile du Clergé et c'est même lui qui célèbre la messe lors de la Fête de la Fédération du 14 Juillet 1790.
Alors qu'il s'est démis de son évêché, il accepte une mission à Londres en Janvier 1792 et est contraint de rentrer après la journée du 10 Août. Il se rapproche alors de Danton qui lui confie une nouvelle mission en Angleterre. Le 5 Décembre 1792, est lue à la Convention une lettre dans laquelle Talleyrand offre ses services à Louis XVI*. Il est aussitôt décrété d'accusation et devra émigrer en Amérique jusqu'en 1796.
ILLUSTRATION : Etienne Clavière
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