LE FOND DU DESESPOIR : 1775
L'Ami des Hommes, depuis le début de l'été 1774, est totalement absorbé par le procès qui l’oppose à son épouse pour leur séparation. L'affaire est compliquée et son ex-femme, sûrement bien conseillée, fait traîner au maximum les choses. L'emprisonnement de son fils au château d'If lui assure donc, pour un temps au moins, une certaine tranquillité d'esprit. Et puis, Emilie a su séduire son beau père qui, du coup, donne encore plus de torts à son propre fils. Il ira même jusqu'à écrire à M. de Marignane pour reconnaître explicitement les fautes commises par Gabriel-Honoré envers Emilie, alors que personne ne lui demandait rien !...
Pendant ce temps, dans la forteresse du Château d'If, Mirabeau a, une fois de plus fait usage de son charme. Il s'est lié d'amitié avec le gouverneur de la prison, pourtant peu amène, le Commandant Alègre.. Celui-ci intercède même auprès des autorités pour obtenir la libération de son prisonnier. Il n'obtiendra rien de concret, si ce n'est l'autorisation pour Mirabeau de correspondre avec sa femme. Hélas, les deux époux n'ont plus grand chose à se dire et ils ne font que s'échanger quelques banalités dans lesquelles ne filtre plus, ni d'un côté ni de l'autre, aucun sentiment. Et pourtant, au fil du temps, Mirabeau va éprouver davantage le besoin de s’épancher et de se confier à un proche ou à un ami qui pourrait le comprendre. La solitude fait son oeuvre et il se laisse aller, dans ses lettres à Emilie, à quelques confidences. Il révèle, entre autres, qu'il correspond aussi avec sa soeur Louise de Cabris; il avoue même, très imprudemment, qu'il compte avec sa soeur, aider leur mère dans le procès qui l'oppose à l'Ami des Hommes. Emilie qui, sans doute, elle aussi, estime qu'elle a quelques comptes à régler avec son mari, ne trouve rien de mieux que de montrer son courrier à son beau père. Celui-ci perd alors complètement la tête : il sollicite une nouvelle lettre de cachet pour Louise de Cabris qui va être recluse dans un couvent à Sisteron. Quant à Gabriel-Honoré de Mirabeau, il demande à ce qu'il soit transféré du château d'If, où sa réclusion est trop douce, au Fort de Joux à la frontière de la Franche-Comté.
Avant d'être informé de ces derniers événements, Gabriel-Honoré avait eu le temps d'adresser une dernière lettre à son épouse :
« ...Vous êtes un monstre; vous avez montré mes lettres à mon père. Je ne veux pas vous perdre et je le devrais; mais mon coeur saigne à l'idée de sacrifier ce qu'il a tant aimé. Mais je ne veux plus être et je ne serai plus votre dupe. Traînez votre opprobre où vous voudrez. Portez plus loin que vous ne l'avez fait, s'il est possible, votre perfide duplicité. Adieu pour jamais... » (1)
Gabriel-Honoré de Mirabeau, même s'il ne veut pas l'avouer, est en butte au plus profond désespoir. Jamais il n'a envisagé son avenir avec autant de tristesse. La haine que lui voue la presque totalité des membres de sa famille le plonge dans un total désarroi.
L'arrivée au Fort de Joux où, effectivement, ses conditions de détention risquent d'être bien plus dures, semble augmenter encore son abattement :
« Je sors d'une prison que les égards que l'on avait pour moi avaient adoucie pour entrer dans le pays le plus triste et le plus froid de l'Europe. Point de ville, du moins où il me soit permis d'aller, quoiqu'elle soit à un quart de lieue; point de société, point de livres (..) Je n'ai pas touché un sol depuis que je suis ici (..) Je suis venu sans un sol.. » (2)
La détention au Fort de Joux est en effet beaucoup plus rude qu’au Château d’If où Gabriel-Honoré bénéficiait par ailleurs d’un régime de faveur. Le Château de Joux, devenu prison d’Etat quelques années auparavant sur ordre de Louis XV, comporte des cellules froides et humides dans lesquelles les prisonniers doivent chauffer toute l’année à leurs frais. Mirabeau y est enfermé en mai 1775 dans l’une des tours du fort qui porte aujourd’hui son nom.
1 - Cité par Duc de CASTRIES "Mirabeau" op. cit. page 94
2 - Idem page 96
ILLUSTRATION : Photo du Fort de Joux
A SUIVRE
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (13)
SOPHIE DE MONNIER : 1775