LES LETTRES DE CACHET : 1773 - 1774
Après avoir participé, sans beaucoup d’enthousiasme, aux festivités qui durent près de huit jours et au cours desquelles Gabriel-Honoré de Mirabeau voit défiler presque toute la ville d'Aix, il en vient enfin à faire ses comptes. Les frais du mariage, les cadeaux, auxquels il doit ajouter les dettes contractées précédemment, tout cela fait une somme impressionnante. Sans hésiter un seul instant, Mirabeau emprunte, à un taux exorbitant car il n’a pas vraiment le choix, mais peu lui importe. Il faut bien vivre, au moins pendant quelques mois. Il ne peut même pas envisager l'idée de vivre sans argent..
Déjà il a compris que les espoirs mis dans ce mariage, qu'il avait voulu riche, s'étaient envolés le jour même de la cérémonie. Par dépit, par inconscience ou par orgueil, il se lance dans des dépenses somptuaires. Il mène un train de vie qu'il considère être en rapport avec son rang. Tant pis s'il est totalement disproportionné d'avec ses revenus !...
Quelques semaines se passent et les jeunes époux vivent tantôt à Marignane tantôt dans les propriétés de la famille. Mirabeau, encore furieux de s’être fait berner, boit beaucoup, s'enivre souvent. A l'occasion il bat sa femme et se querelle avec elle à tout bout de champ pour des peccadilles. Puis, ayant fait le tour de la famille d'Emilie, les deux jeunes mariés partent s'installer au domaine de Mirabeau. Là, Gabriel-Honoré a fait faire des travaux somptueux à l'intérieur du château et fait l'acquisition de plusieurs équipages. Emilie, que l'on n'a pas jugé bon d'informer des difficultés financières du ménage, dépense également sans compter. Alors qu'elle ne dispose en propre que de ses trois mille livres de rente annuelle, elle dépense, durant la première année de leur mariage, plus de vingt-deux mille livres rien que pour ses toilettes !.. Pas étonnant que les dettes du ménage s'élèvent, à cette date, à près de deux cent mille livres !...
Emilie est maintenant enceinte et Mirabeau court les usuriers pour se procurer quelque argent frais en même temps qu'il déploie des ruses incroyables pour tenter d'éviter les créanciers. L'entreprise devient de plus en plus difficile car ceux-ci sont nombreux et réclament leur dû avec une réelle insistance. Certains, qui se présentent lors des mauvais jours, se voient expulser avec violence du château de Mirabeau, ce qui n'arrange en rien les affaires du comte même si cela lui permet de gagner quelques jours de répit.
Lorsqu’Emilie accouche d'un garçon, que l'on prénomme Victor, en l'honneur de son grand père l'Ami des Hommes, la situation devient encore plus difficile pour la petite famille. Gabriel-Honoré qui n’a pas du tout la fibre paternelle, devient un peu plus irascible et n’a pas plus de considération pour son fils qu’il n’en a pour son épouse. Le petit Victor mourra en bas âge en 1778. Gabriel-Honoré n’a plus qu’une seule préoccupation : imaginer tous les expédients possibles pour trouver un peu d'argent et calmer les plus impatients de ses créanciers.
L'Ami des Hommes, comme M. de Marignane, a été informé de la situation financière catastrophique dans laquelle se trouvent leurs enfants. Ni l'un ni l'autre n'ont l'intention de payer pour ce qu'ils considèrent être la conséquence des frasques de Gabriel-Honoré. Il y a bien une solution pour soustraire ces jeunes gens, totalement inconscients, à leurs responsabilités : faire appel au roi. L'idée, qui est très probablement de l'Ami des Hommes, fait son chemin et ne semble pas déplaire à M. de Marignane qui éprouve toujours autant de ressentiment envers son gendre. Le 28 Décembre 1773, une lettre de cachet signée de Louis XV consigne Mirabeau et sa femme dans leur château. Leurs revenus sont bloqués afin de financer les intérêts de leurs dettes. On leur laisse la jouissance d'une somme annuelle de trois mille livres pour assurer les dépenses courantes du ménage !...
Réduire son train de vie dans de telles proportions, Mirabeau ne veut même pas y songer. Alors il commence à exploiter les forêts du domaine, vend le mobilier du château, fait un peu n'importe quoi pour récolter, ici ou là, quelques milliers de livres supplémentaires.
La réplique de l'Ami des Hommes, à ce qu'il considère comme une provocation de la part de son fils, tombe dans le courant du mois de Mars 1794 : une nouvelle lettre de cachet signifie aux Mirabeau qu'ils sont placés en résidence surveillée à Manosque. Gabriel-Honoré de Mirabeau est, de plus, sous le coup d'une procédure d'interdiction judiciaire lancée par son propre père !...
Ne sachant pas encore où ils vont pouvoir loger, les Mirabeau prennent le chemin de Manosque en n'emportant que quelques bagages. Ils sont finalement hébergés par des lointains cousins de la famille de Marignane, les Gassaud. Appartenant à la petite bourgeoisie de province, sans beaucoup de revenus, les Gassaud ont pour principale fierté un fils qui sert comme officier dans les Mousquetaires du roi.
Mirabeau et sa petite famille s'installent, tant bien que mal, en espérant qu'il s'agit là d'une situation qui ne peut durer bien longtemps. Les relations entre Emilie et son mari, qui n'étaient déjà pas très bonnes, continuent de se dégrader. Ils ont souvent de si violentes disputes que la pauvre Emilie en est réduite à passer quasiment toutes ses journées en compagnie des filles de leurs hôtes. Mirabeau, s’isole et se consacre à l’écriture. Il a entrepris la rédaction d'un essai qu'il intitule déjà "Essai sur le Despotisme", bien qu'il soit loin d'être achevé. Il met en ce moment beaucoup d'espoir dans cet ouvrage pour lequel il a rassemblé une volumineuse documentation.
Dans le courant du mois de Mai 1774, un juge vient interroger Mirabeau qui avoue tout : sa conduite insensée, ses dettes, les violences faites à certains de ses créanciers, etc.. Il promet de tout rembourser. Il jure qu'il ne recommencera plus !.. Toutes ces bonnes résolutions, prises un peu tardivement, ne suffiront malheureusement pas à attendrir le magistrat. En effet, le 8 Juin, l'interdiction judiciaire contre Gabriel-Honoré de Mirabeau est prononcée officiellement. Pis, on réduit les revenus du ménage à deux mille quatre cents livres par an : c'est quasiment la misère !..
ILLUSTRATION : Lettre de Cachet signée par Sartine
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LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (11)
LA PRISON AU CHATEAU D'IF : 1774