Marisol Touraine, ministre de la Santé, a annoncé vendredi 23 septembre que le déficit du régime général de la sécurité sociale (maladie, retraites, famille, accident du travail) chutera à 400 millions d'euros en 2017 contre 3,4 milliards cette année. Sur un budget de 500 milliards d'euros, soit l'épaisseur du trait. Présentation un peu enjolivée car le déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), restera stable à 3,8 milliards d'euros. Ce qui porte en réalité le bilan de la Sécu pour 2017 à -4,2 milliards. Sans oublier un autre trou de la sécu, béant et tenace celui-là : la dette sociale, c’est à dire la somme de tous les trous cumulés depuis vingt ans, soit... 156 milliards d’euros. Le trou de la sécu est donc encore loin de disparaître quoiqu’en dise madame Touraine..
Voici les grandes lignes du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2017 présenté ce vendredi 23 septembre.
Assurance maladie: 4 milliards d'euros d'économies
Nouveau tour de vis sur l’assurance maladie. En 2017, l’assurance maladie sera la dernière branche de la sécu à connaître encore un déficit : 2,6 milliards contre 3,4 programmés pour 2016. Les efforts d’économies sont donc concentrés sur elle. Pour compenser la hausse automatique des dépenses (inflation, salaires...), et les nouvelles dépenses prévues (hausse du prix des consultations de médecins, dégel des salaires des fonctionnaires hospitaliers...) il faut trouver 4 milliards d’euros. C’est 600 millions de plus que pour cette année. Pour cette raison, la hausse autorisée des dépenses (Ondam) a été relevée à +2,1% au lieu de 1,75% prévu, apportant une marge de 700 millions d’euros.
** Baisse des prix de produits de santé, promotion des génériques (1,43 milliard d'euros).
C’est le chapitre le plus important du programme d’économies : 1,4 milliard d’euros sont attendus de la baisse du prix de certains médicaments (500M€) et de quelque 200 dispositifs médicaux (90 millions d’euros), mais aussi de la promotion des génériques (340M€) et des biosimilaires (30M€). Un nouveau fonds sera créé pour financer à long terme l’innovation. Il va être doté de 800 millions d’euros au départ, dont 200 millions seront affectés dés 2017 à l’assurance maladie.
** Lutte contre les prises en charge «non pertinentes» (1,135 Md€)
1,1 milliards sur la pertinence des soins. Nouveau tour de vis aussi sur les revenus des radiologues et biologistes, la baisse de leurs tarifs de remboursement doit rapporter 165 millions d’euros. Une meilleure prescription des médicaments et dispositifs doit produire 380M€ d’économies. Enfin pour le principal, une meilleure efficience des prescriptions, notamment sur les arrêts de travail fera économiser 320M€.
** Réalisation de plus d'opérations en ambulatoire (640 M€)
640 millions sur le « virage ambulatoire ». Faire que le patient ne dorme pas à l’hôpital, ou rentre plus vite chez lui, c’est l’objectif du « virage ambulatoire ». En 2017, il est censé rapporter 160 millions d’euros. A côté, une meilleure efficience des prescriptions à l’hôpital doit se solder par 250 millions de dépenses en moins.
** Amélioration de l'efficience de la dépense hospitalière (845 M€)
L’Hôpital devra apprendre à acheter mieux. 845 millions d’euros sont attendus de l’hôpital. Principale ressource : l’optimisation des achats. L’extension des centrales d’achats inter-hospitalières doit réduire la facture de leurs achats de 505 millions d’euros contre 420 l’an dernier. 260 millions d’économies sont prévus sur la liste dite « en sus » des médicaments hospitaliers particuliers. Enfin, les hôpitaux devront améliorer leur gestion.
Parallèlement, le ministère prévoit des mesures de régulation concernant les prix de nouveaux traitements onéreux arrivant sur le marché.
** Meilleure prise en charge des soins dentaires.
Les négociations avec l’assurance maladie ont débuté ce jeudi et c’est déjà acquis : les chirurgiens dentistes vont devoir être -un peu- moins gourmands, comme vient de le recommander la Cour des comptes. Selon le ministère de la Santé ce matin, l’assurance maladie va augmenter leurs remboursements sur les soins de base, en contrepartie tous les tarifs associés à des soins prothétiques seront « plafonnés », explique le ministère. Ce qui par incidence permettra aux complémentaires de se désengager en partie au moins de ce secteur. Verra-t-on leurs cotisations baisser pour autant ?
Santé et prévention
Le gouvernement va poursuivre l'effort de prévention (addictions, nutrition, et autres comportements néfastes à la santé) avec un accent mis sur la lutte contre le VIH et les infections sexuellement transmissibles ainsi que la généralisation du dépistage du cancer du col de l'utérus.
Pour lutter contre le tabagisme, le gouvernement a décidé une hausse des taxes sur le tabac à rouler qui va conduire à une hausse des prix anticipée de 15% pour aligner sa fiscalité sur celle des paquets de cigarettes. Soit environ 1€ de hausse par sachet et un prix moyen de 9,85€.
Seconde mesure sur le tabac, une nouvelle taxe imposée au seul grossiste-distributeur du secteur, la société Logista, qui devrait rapporter 100 millions d’euros. Objectif : ne pas pénaliser les buralistes.
Personnes âgées
Au total, 21,5 milliards d'euros seront consacrés l'an prochain aux établissements et services accueillant des seniors en perte d'autonomie ou handicapés, soit une hausse de 590 millions (3,2%), dont:
** 209 millions consacrés à la création de places dans les établissements pour personnes handicapées
** 85 millions pour la création de places pour les personnes âgées
Par ailleurs, l'Assurance maladie prendra en charge les ESAT (établissements et services d'aide par le travail, jusqu'alors financés par l'État) avec compensation pour ce transfert.
Pacte de responsabilité
L'État continue de compenser le manque à gagner pour la Sécurité sociale induit par le Pacte de responsabilité et de solidarité, soit un versement de 3,8 milliards d'euros.
Travailleurs indépendants
Le taux des cotisations d'assurance maladie-maternité pour les travailleurs indépendants dont les revenus sont inférieurs à 27.000 euros annuels va être réduit de manière dégressive. Ce taux actuellement de 6,5% pourra être réduit jusqu'à 3%. Il s'agit d'un effort financier de 150 millions d'euros en faveur de 1,8 million d'artisans, commerçants, professions libérales.
Locations entre particuliers
La location régulière d'appartements ou voitures («bien meubles ou immobiliers») entre particuliers, au delà d'un seuil de revenus (23.000 euros de recettes pour les logements), devient assimilable à des revenus d'activité assujettis aux prélèvements sociaux.
Fraude au détachement
Le projet de loi prévoit la mise en place d'une procédure de saisie conservatoire sans intervention préalable du juge de l'exécution applicable en cas de travail illégal, pour mieux récupérer les sommes dues aux organismes sociaux.
Retraites
Le droit à la retraite progressive permettant à un actif de plus de 60 ans de commencer à toucher sa retraite tout en travaillant à temps partiel est élargi aux salariés ayant plusieurs employeurs.
Famille
** Le texte prévoit la création de l'agence de recouvrement des pensions alimentaires
** Simplification du versement aux familles du complément mode de garde
Le Bilan de la méthode Touraine
Dans une interview aux Echos, Marisol Touraine dresse un bilan particulièrement élogieux de sa politique et de sa présence avenue de Ségur. Et elle a bien raison, car on n'est jamais mieux servi que par soi-même.
** Le triomphe de l'économie administrée
Soulignons d'abord que l'autosatisfaction semble être la marque de fabrique de Marisol Touraine. Il est assez frappant d'ailleurs de voir qu'une ministre de la Santé se félicite de son action quelques jours après que le principal syndicat de médecins (la CSMF) a refusé de signer la nouvelle convention médicale. Alors même que les syndicats ne sont financés que s'ils signent le texte, il s'est trouvé une organisation majoritaire pour boycotter la proposition officielle.
Marisol Touraine appartient à un gouvernement qui a longtemps présenté la démocratie sociale comme méthode. Pourtant, la ministre a systématiquement pratiqué le passage en force et la nationalisation, notamment avec la création du service public hospitalier dans sa loi Santé.
** Le triomphe du tarif imposé
L'un des aspects de son autoritarisme s'appelle le plafonnement des remboursements médicaux. Là encore, pour rétablir artificiellement les comptes de la sécurité sociale la ministre a déremboursé les classes moyennes et singulièrement les femmes. Se vanter d'avoir sauvé le «système» en plafonnant les remboursements des visites chez un gynécologue, par exemple, relève de l'imposture.
Dans la pratique, la politique de la ministre n'a pas reposé sur une réforme systémique, mais sur une dégradation progressive de la sécurité sociale: petit à petit, la ministre a ordonné de dégrader les prestations sans baisser les cotisations.
** Touraine a simplement repoussé les échéances
Faute de réformes structurelles, faute de véritables innovations (notamment dans le domaine du Big Data), Marisol Touraine a simplement repoussé les échéances où il faudra réformer vraiment. Elle a gagné un peu de temps en jugulant les dépenses de-ci de-là, en imposant des mesures drastiques aux hôpitaux publics où les risques psycho-sociaux deviennent ingérables. Bref, elle a caché la misère, et repoussé à l'après 2017 les mesures désagréables comme un nouveau relèvement de l'âge de la retraite.
** Comment Touraine a caché la misère
Pour parvenir à gagner du temps, la ministre a planqué la poussière sous le tapis, et elle a adopté des mesures populistes qui accroissent la déresponsabilisation individuelle dont la sécurité sociale est devenue la synonyme. La généralisation du tiers payant en est le parfait symbole. Cette mesure, qui alourdit considérablement la charge administrative des médecins, nourrit l'idée que la médecine est gratuite. Bien entendu, il s'agit d'une «médecine du pauvre» puisque, dans le même temps, les remboursements sont plafonnés.
Mécaniquement, cette politique en trompe-l’œil produit donc une dégradation globale du service. D'un côté, elle pousse les patients à se rendre chez le médecin au moindre bobo et à utiliser le bien commun avec des stratégies de passager clandestin. D'un autre côté, cette satisfaction est illusoire, puisque certains médecins deviennent moins accessibles à l'ensemble faute d'un remboursement intégral possible de la visite.
** L'implosion si prévisible de la médecine de ville
Sous couvert d'une avancée sociale, c'est donc le principe d'une médecine à deux vitesses qui s'est mis en place. D'un côté, des médecins bien rémunérés qui peuvent soigner efficacement une clientèle fortunée. De l'autre, des déserts médicaux avec une fuite des généralistes loin d'une pression gratuite, certes, mais avec des délais d'attente qui augmentent à vue d'œil.
Le sauvetage de la sécurité sociale par Marisol Touraine est un feu de paille. Marisol Touraine a solvabilisé, avec le tiers payant, la fraction la moins riche de la demande. Mais elle étrangle l'offre en lui imposant des conditions d'exercice de moins en moins supportables et en limitant la possibilité de pratiquer les dépassements d'honoraires. À court terme, elle peut avoir l'illusion d'avoir instauré (sans débat clair sur le sujet) de la solidarité dans un système contributif qui n'a jamais reposé sur ce principe. À long terme, elle a asséché le vivier de médecins de ville par de nouvelles tracasseries administratives et par une réglementation contraignante de leur rémunération.
Le résultat est bien connu : des campagnes entières, des villes entières, connaîtront une pénurie de médecins et le niveau sanitaire moyen des Français va baisser. Une très grande réussite! On a sauvé la sécurité sociale, mais on a tué la protection des Français.