Qu'elle s'appelle "antidélocalisation", "sociale" ou "anti-chômage", une chose est sûre : l'idée d’augmenter la TVA est dans l'air du temps. Tantôt c’est pour des raisons de convergence avec l’Allemagne, tantôt c’est pour financer notre régime social autrement qu’avec les cotisations sur le travail. La TVA a déjà augmenté pour cause de plan de rigueur budgétaire 2012 ; elle augmentera encore dans les mois qui viennent..
S'il ne prononce pas le nom de la mesure, Nicolas Sarkozy évoque désormais cette question lors de ses tables rondes. Le concept est repris dans le projet de programme de l'UMP pour 2012 et a déjà été défendu par d'autres responsables de l'actuelle majorité, de Jean-François Copé à Hervé Novelli, notamment lors de leur convention du 22 novembre dernier.
Et le débat n'agite pas seulement la majorité : début novembre, le sénateur centriste Jean Arthuis, soutien de M. Bayrou, a lancé, dans les colonnes du Monde : "Osons le débat sur la TVA anti-délocalisation".Lors de la primaire socialiste, Manuel Valls a également soutenu cette mesure.
Un transfert qui favorise à la fois la compétitivité des entreprises et les exportations
L'idée de base de la TVA « sociale » est assez simple : il s'agit d'un transfert d'un certain nombre de cotisations, actuellement payées par les salariés et les employeurs, vers la consommation. Concrètement, on augmenterait le taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qu'on paye lors de tout achat de bien ou de service, d'un nombre de points suffisant pour financer, par exemple, la branche maladie ou famille de la sécurité sociale. En compensation, les employeurs n'auraient plus à régler cette cotisation.
L'effet attendu par la mise en place de cette mesure est double : d'une part, une hausse de compétitivité du pays, puisque le coût du travail diminue ; d'autre part, un soutien à la production nationale face aux produits importés. En effet, si l'on met en place une TVA « sociale », ce sont tous les produits vendus en France qui financent la protection sociale, y compris les produits importés de pays à très bas coût de main d'oeuvre. D'où la dimension "anti-délocalisation" évoquée par l'UMP et M. Arthuis.
Supportant moins de charges, la production nationale devient donc en principe plus compétitive face à la concurrence de produits venus de pays émergents par exemple. La réciproque est vraie : les produits vendus à l'export ne sont pas soumis à la TVA. Ils bénéficient donc d'un avantage comparatif, puisque leur coût de production est moindre (pas de charges pour financer la protection sociale).
Plusieurs études sur la TVA sociale ont été produites en 2007, notamment à l'initiative d'Eric Besson, alors secrétaire d'Etat chargé de la prospective. Elles évoquaient jusqu'à 300 000 créations d'emploi liées à la mesure. Mais ces projections portaient sur des périodes de croissance à 2 % ou 3 %, et non sur une croissance très faible (voire nulle) comme celle prévue pour 2012.
Effet négatif sur les prix et sur la consommation
La mesure peut entraîner un revers de taille : pénaliser plus ou moins fortement la consommation. Un point de TVA (augmentation généralisée de tous les produits et services) représente environ 8 milliards d'euros. Les cotisations sociales des employeurs, 35 milliards. Pour transférer ces dernières sur la TVA, il faudrait donc la relever de 4,3 points, ce qui inévitablement entraîne une hausse des prix. Comme l'a rappelé l'ancien ministre ultralibéral Alain Madelin dans une tribune au Monde, "ce ne sont pas les produits qui paient la TVA mais les consommateurs de ces produits. TVA « sociale » ou pas, la même facture sociale sera toujours payée par le même nombre de Français."
Alors, les défenseurs de ce concept estiment qu'il est possible de compenser l'effet sur les prix en appliquant des taux réduits de TVA sur les denrées essentielles, afin de ne pas pénaliser les ménages modestes. Et là l’idée simple initiale devient déjà un peu plus complexe. Il faut revoir l’ensemble du système et il n'en restera pas moins que c'est sur les ménages les plus modestes que la hausse des prix serait proportionnellement la plus forte. Même si elle ne s’applique pas à tous les produits. Riches ou pauvres, tous payent le même montant de TVA quand ils achètent un produit.
Effets non garantis sur les entreprises
Dans la situation d’une hausse es prix importante, due à une hausse de TVA, les salariés seraient probablement tentés de demander des compensations salariales. Mais si la hausse des salaires correspondait au montant des baisses de charges permises par la TVA « sociale », le gain de compétitivité serait nul.
Une autre question se pose aussi au sujet des entreprises : joueraient-elles le jeu en répercutant les baisses de charges sur les prix, de manière à gagner en compétitivité, ou préféreraient-elles augmenter leurs marges, et donc leurs bénéfices ?
Il existe d'autres inconnues complexes inhérentes à la situation française : l'Allemagne a mis en place en juin 2006 une TVA « sociale », en relevant sa TVA de trois points, ce qui devait permettre de diminuer de deux points les cotisations chômage (au final, les gains ont été en partie affectés au désendettement du pays). Mais l'Allemagne partait d'une TVA à 16 %, qui était inférieure à celle pratiquée ailleurs. Cette dernière est aujourd'hui de 19 %, donc au taux français. Or, si la France voulait imiter son voisin, son taux de TVA, déjà de 19,6 %, remonterait en flèche.
Quelle TVA, quels taux et quels transferts ?
Au-delà de la mesure elle-même, c'est son ampleur qui est stratégique : combien de cotisations transférer ? Et à quel prix ?
L'UMP propose "un transfert sur cinq ans des 30 milliards de cotisations de la branche famille vers une fiscalité anti-délocalisation",qui ne serait pas la seule TVA, mais ne s'avance pas plus avant dans l'explication. Peut-être souhaite-t-elle mettre à contribution la CSG, ce qui aurait l'avantage de taxer également les revenus du capital et de parer en partie aux accusations de fragilisation de la croissance et d'injustice sociale. C'est l'option retenue par le Medef, qui représente le patronat français.
Le Medef, qui soutient l'idée d'une TVA « sociale », a déjà fait ses calculs. L'organisation patronale fait deux hypothèses : dans la première, le taux de TVA serait relevé à 25 %, tandis que les taux réduits augmenteraient de 7 % à 12 % et de 2,1 % à 5 %. L'opération permettrait de diminuer de 5,4 points les cotisations de la branche famille et de 2,1 points celles de la branche maladie.
Dans ce scénario, l'organisation patronale souhaiterait parallèlement augmenter de 2 points la CSG, pour diminuer de 4,5 points les cotisations salariales. Au total, les taux de cotisation seraient ainsi ramenés au niveau de ceux de l'Allemagne (autour de 39 %, contre 52 % actuellement), selon le Medef.
Le patronat propose une autre hypothèse, moins élevée : le transfert de 5 points de cotisation, dont 3,5 points de cotisations employeurs et 1,5 de cotisations salariales, en échange d'un relèvement de 19,6 % à 22 % de la TVA (et de 2,1 % à 5 % pour la TVA réduite, ainsi que de 7 % à 10 % pour la TVA intermédiaire). La CSG serait également relevée de 0,75 points.
Les hésitations du Parti Socialiste
Au sein du PS, Manuel Valls prônait une hausse plus modeste, d'un point de TVA, affectée non à une baisse des charges des entreprises mais au budget de l'Etat, pour limiter les déficits. Une proposition balayée par les autres candidats socialistes lors de la primaire, qui la jugeaient pénalisante pour les plus modestes. Mais aussi par la droite, qui la jugeait trop ténue pour être efficace.
Le candidat socialiste, François Hollande, sans se montrer favorable à l'idée, a évoqué durant les débats de la primaire, une "contribution écologique qui permettrait de se substituer à la taxe sur le travail". On n’en sait guère plus aujourd’hui…
Au final, il est difficile de savoir à l'avance ce que la TVA « sociale » apporterait au pays : tout est question de dosage. Mais pour nombre d'économistes, l'effet a toutes les chances de rester limité tant dans son ampleur que dans sa durée. Il est donc peu probable qu'il s'agisse d'un instrument miracle qui modifierait profondément la compétitivité française.
Source : LeMonde.fr 22-11-2011
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