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Gilbert du Motier de La Fayette Commandant de la Garde Nationale
UN PEU D'AIR PUR : JANVIER - NOVEMBRE 1790
Alors que la vie s'organise, tant bien que mal, aux Tuileries et que Marie-Antoinette commence à y prendre ses "habitudes", l'Assemblée nationale quitte Versailles pour Paris à la suite du Roi. Elle continue à travailler sans relâche. Des mesures spectaculaires sont votées par les députés et deux d’entres elles vont avoir des conséquences que personne aujourd'hui ne semble en mesure de prévoir : les biens du clergé sont mis à la disposition de la Nation et l'Etat met en circulation les fameux "Assignats" (1)
Dans un discours prononcé à l'Assemblée le 4 Février 1790, le Roi, qui croit que la page de la Révolution est maintenant tournée, entérine tous les changements :
« Je défendrai donc, je maintiendrai la liberté constitutionnelle dont le vœu général, d'accord avec le mien, a consacré le principe ; je ferai davantage, et, de concert avec la Reine qui partage tous mes sentiments, je préparerai de bonne heure l'esprit et le cœur de mon fils au nouvel ordre des choses que les circonstances ont amenées." (2)
Le peuple a eu satisfaction, le Roi s'est rallié à ses vœux, la monarchie semble donc sauvée et Paris est en liesse. Cela faisait bien longtemps que l'on n’avait vu de telles manifestations de joie populaire dans la capitale ! La Cour, comme l'Assemblée, comme le peuple, semble avoir oublié les violences de Juillet et d'octobre 1789.
Si certains, comme Louis XVI*, croient la Révolution terminée, ils vont très vite revenir de leurs illusions. Quelques jours à peine après le discours apaisant du Roi aux députés, (3) le Marquis de Favras (4), accusé de menées contre-révolutionnaires, est pendu en Place de Grève. C'est, pour Marie-Antoinette, qui avait cru voir dans cet aventurier un vrai défenseur de la monarchie, un nouveau choc. Il est suivi d'un autre encore plus douloureux : le 27 Février, elle apprend la mort de son frère Joseph II, décédé à Vienne une semaine plus tôt. La Reine est accablée. Et pourtant c'est avec un grand courage qu'elle va surmonter cette nouvelle épreuve.
« J'ai été bien malheureuse », écrit-elle à la duchesse de Polignac, « par la perte que je viens de faire ; mais au moins la force et le courage que celui que je regrette a mis dans ses derniers moments forcent tout le monde à lui rendre justice et à l'admirer, et j'ose dire, il est mort digne de moi. » (5)
On avait accusé le marquis de Favras d'avoir tenté d'enlever la famille royale, aussi la surveillance a-t-elle été resserrée autours des Tuileries. La Reine étouffe dans ce Palais où tous les mouvements de la rue lui parviennent, lourds de menace. Elle a peur. Sans cesse lui reviennent en mémoire les quolibets et les insultes, entendus lors de l'interminable retour de Versailles, en Octobre dernier. Elle rêve de la douce quiétude que lui procurait Trianon et son parc ; elle aspire à un peu de paix, de calme, de silence et d’air pur. Le Palais des Tuileries lui fait maintenant horreur ; elle ne pense plus qu'à une seule chose : quitter cet endroit où elle n'est venue que par la force. Le 29 Mai, elle écrit à son frère Léopold :
« Notre santé à tous se maintient bonne, c'est un miracle, au milieu des peines d'esprit et des scènes affreuses dont tous les jours nous avons le récit et dont souvent nous sommes les témoins. Je crois qu'on va nous laisser profiter du beau temps en allant quelques jours à Saint-Cloud, qui est aux portes de Paris. Il est absolument nécessaire pour nos santés de respirer un air plus pur et plus frais ; mais nous reviendrons souvent ici. Il faut inspirer de la confiance à ce malheureux peuple ; on cherche tant à l'inquiéter et à l'entretenir contre nous. Il n'y a que l'excès de la patience et la pureté de nos intentions qui puissent le ramener à nous. » (6)
Honoré Gabriel Marquis de Mirabeau
Ce n'est que le 4 Juin que la famille royale sera enfin autorisée à quitter le Palais des Tuileries pour aller goûter les plaisirs de Saint-Cloud. Marie-Antoinette respire, même si elle sait que les calomnies que l'on répand à son sujet ne font que de s'amplifier. N'a-t-on pas inventé dernièrement qu'elle était la maîtresse de La Fayette*. La Fayette* ! L'homme qu'elle déteste le plus au monde depuis les événements d'Octobre !
Si Marie-Antoinette retrouve à Saint-Cloud la nature, les arbres, l'air pur qui lui manquaient tant à Paris, elle n'a pas pour autant recouvré sa liberté. Elle est sans cesse épiée, suivie dans ses déplacements, surveillée jusque dans ses appartements. Une seule tolérance lui est encore accordée, qui pour elle revêt une très grande importance, celle de recevoir les visites d'Axel de Fersen qui conserve à Saint-Cloud les entrées qu'il avait aux Tuileries. Fersen qui, au fil des mois, est devenu le conseiller aussi bien de Louis-Auguste que de la Reine. Mais si La Fayette* ferme les yeux sur les allées et venues du Suédois, n’est-ce pas pour pouvoir faire plus facilement pression, un jour prochain, sur la reine ?
C'est Axel de Fersen qui, en cet été 1790, demande avec insistance à la Reine de rencontrer Mirabeau*. Le « monstre », comme l'appelle Marie-Antoinette, a fait savoir à la Cour à quel point il est effrayé par l'anarchie qui gagne tout le pays. Il dit vouloir sauver la monarchie ; mais comment pourrait-on le croire alors qu'il l'a si violemment combattue ? Sa démarche est-elle due à ses convictions politiques qui, après tout, ont peut-être évoluées ou à sa cupidité ? La Reine, en tous cas, est bien sceptique quant aux intentions du tribun. Mais a-t-elle vraiment le choix ? Marie-Antoinette doit se raccrocher à tous ceux, et ils ne sont pas très nombreux, qui sont susceptibles de desserrer l'étau qui oppresse depuis un an la royauté. Elle va donc devoir surmonter sa répugnance envers Mirabeau* ; elle accepte de le recevoir le 3 Juillet.
Le député d'Aix sortira de cette entrevue complètement séduit par la souveraine et, avant de prendre congé, il lui fait cette promesse : « Madame, la monarchie est sauvée ». Marie-Antoinette a été tout aussi impressionnée ; elle a acquis en outre la certitude que Mirabeau* était sincère. Nouvelle lueur d'espoir donc, au moment même où la famille royale se prépare à la célébration de la fête de la Fédération, le 14 Juillet, au Champs de Mars.
La Reine appréhende beaucoup cette cérémonie officielle commémorant le premier anniversaire de la prise de la Bastille. Elle sait qu'elle va devoir se replonger au sein de cette foule parisienne qui lui rappelle tant de mauvais souvenirs. Au fur et à mesure où les jours passent, l'inquiétude se transforme en une véritable angoisse. Mais la Reine de France est courageuse :
« Je ne pense pas sans frémir à cette époque », écrit-elle à Mercy, « elle réunira pour nous tout ce qu'il y a de plus cruel et de plus douloureux, et avec cela il faut y être. C'est un courage plus que surnaturel qu'il faut avoir pour ce moment.. » (7)
Marie-Antoinette aura le courage nécessaire.... Les festivités du Champs de Mars regroupent beaucoup de provinciaux et, au lieu du cérémonial grandiose qu'avaient souhaité les députés, la Fédération aura plutôt l'aspect d'une grande fête populaire. Le Roi, la Reine et le Dauphin, à leur grande surprise, sont fort acclamés ; la province, fortement représentée en ce jour, est restée fidèle au Roi. La journée que Marie-Antoinette avait tant redoutée se passe donc mieux que ce qu'elle avait escompté.
Aussitôt la fête terminée, la famille royale regagne Saint-Cloud où Marie-Antoinette entend bien rester au moins jusqu'au début de l'hiver.
Ce 14 Juillet 1790 semble avoir scellé une nouvelle fraternité entre les Français. Tout c'est déroulé dans une ambiance bon enfant. Paris semble s'être apaisé. A Saint-Cloud la vie est tranquille, la surveillance parait même moins étroite. La Reine a retrouvé des raisons d'espérer et fait part de son nouvel optimisme à son fidèle Mercy :
« Paris à l'air tranquille ; mais je voudrais voir les départements formés et tranquilles en activité ; je voudrais voir les lois achevées ; je voudrais que tous ceux qui perdent au nouveau régime réfléchissent qu'ils perdront encore plus, s'ils ne se consolent pas ; je voudrais qu'on aimât la Patrie et le repos public plus que les intérêts de la fortune et de l'amour-propre, je voudrais bien des choses et je ne puis rien. » (8)
Le seul motif d'inquiétude vient des notes de Mirabeau*. Elles sont de plus en plus fréquentes et plus alarmantes les unes que les autres. Le député d'Aix demande, à nouveau, à rencontrer Marie-Antoinette qui éprouve toujours autant de répugnance pour l'homme et de défiance pour le député. Il prétend que la guerre civile devient inévitable et que le roi et la reine doivent s’appuyer sur des troupes « sûres ». Il affirme également que Louis XVI* et Marie-Antoinette doivent se préparer à quitter Paris. C’est la seule idée que retiendra la reine qui ne recevra pas Mirabeau*.
La Fête de la Fédération au Champs de Mars - 14 juillet 1790
Le 4 Septembre, dans l'indifférence générale, Necker annonce sa démission. Marie-Antoinette accueille cette nouvelle avec satisfaction. Elle n'éprouve aucun regret de voir partir celui qu'elle rend responsable d'une grande partie des désordres de l'Etat.
Sa préoccupation principale est désormais de convaincre le Roi de s'éloigner de Paris ; de profiter de la relative liberté dont ils jouissent à Saint-Cloud pour fuir. Louis-Auguste demeure intraitable. Il ne parvient pas à se résoudre à commettre un acte qu'il considère comme une trahison. Il consent néanmoins à prolonger le séjour à Saint-Cloud jusqu'au 5 Novembre. La Reine, prétextant une indisposition, y demeurera jusqu'à la mi-Novembre. Elle retarde autant qu'elle le peut ce retour dans la capitale où elle pense retrouver, malgré le calme apparent, les vociférations de la "populace". Cette situation qu'elle a connue, pendant tant et tant de jours, lui semble maintenant insupportable ainsi qu'elle le confie à son frère Léopold, le nouvel Empereur d'Autriche :
« Oui mon cher frère notre situation est affreuse, je le sens, je le vois, et votre lettre a tout deviné (...) L'assassinat est à nos portes ; je ne puis paraître à une fenêtre, même avec mes enfants, sans être insultée par une populace ivre, à qui je n'ai jamais fait le moindre mal, bien au contraire, et il se trouve là assurément des malheureux que j'aurais secourus de ma main. Je suis prête à tout événement et j'entends aujourd'hui de sang-froid demander ma tête... » (9)
(1) Assignats : Après avoir décidé la vente des biens du clergé au profit de la Nation, l'Assemblée vote l'émission de 44 millions d'Assignats c'est à dire de "billets assignés sur les biens du clergé". L'Assignat émis par coupures de 1000 Livres porte intérêt de 5 %. Le 14 Avril 1790, les Constituants transforment les biens du clergé, sous séquestre, en biens nationaux. Leur vente est destinée à renflouer les caisses de l'Etat. Le taux d'intérêt est alors porté de 5 à 3 %. Le 29 Septembre 1790 sont émis 800 nouveaux millions. Alors commence un mouvement inflationniste doublé d'une dépréciation de l'Assignat qui va durer plusieurs années et perturber l'ensemble de l'économie du pays. Les français thésaurise la monnaie métallique et la dépréciation ne tarde pas à devenir galopante : en Avril 1790 un Assignat de 1000 Livres peut être échangé contre 900 Livres de monnaie métallique, 820 Livres en Novembre 1792, 520 Livres en Décembre 1793 et 80 Livres en Mars 1795. Dans le même temps, les émissions vont être multipliées. IL y aura 4 000 millions d'Assignats en Octobre 1792, 9 000 millions en Septembre 1793 et 14 000 millions en Février 1794 !
(2) Cité par Jean CHALON "Chère Marie Antoinette" op. cit. Page 284.
(3) Le 19 Février 1790.
(4) Marquis de FAVRAS : Né à Orléans le 26 Mars 1744. Très ambitieux, protégé du Comte de Provence, le marquis de Favras propose en Avril 1789 des plans de rénovation des finances du royaume. Impatient de faire fortune, il propose, au lendemain du 14 Juillet de lever un régiment d'anciens gardes du corps afin de protéger la famille royale. Il émet ensuite l'idée d'enlever le Roi de force pour le conduire à Metz tandis que l'armée écraserait les émeutiers parisiens.
Très vite repéré par La Fayette* pour ses agissements, Favras est arrêté après les journées d'Octobre et accusé d'avoir comploté pour faire évader le Roi. Le coup monté, sans doute par La Fayette* lui-même, coûte la vie au marquis qui est pendu en Place de Grève le 19 Février 1790.
(5) Lettre de Marie-Antoinette à la Duchesse de Polignac
Cité par Jean CHALON "Chère Marie-Antoinette" op. cit. Page 286.
(6) Lette de Marie Antoinette à Léopold du 29 Mai 1790
Cité Par Jean CHALON "Chère Marie-Antoinette" op. cit. Page 287.
(7) Lettre de Marie-Antoinette à Mercy-Argenteau du 12 Juin 1790
Cité par Jean CHALON " chère Marie-Antoinette" op. cit. Page 293.
(8) Idem page 296.
(9) Idem page 301.
A SUIVRE :
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MARIE-ANTOINETTE, REINE DE FRANCE (20/35)
FUIR, ENFIN : JANVIER - JUIN 1791