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5 septembre 2017 2 05 /09 /septembre /2017 07:00
LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (44)

 

 

 

 

MIRABEAU TIENT L’ASSEMBLEE : OCTOBRE - NOVEMBRE 1789

  

 

 

 

 

 

    On connaît bien maintenant les ambitions de Mirabeau. On sait son appétit de pouvoir qui n’a cessé de grandir depuis qu’il s’est lancé, à corps perdu, dans la campagne pour les élections aux Etats Généraux. Ce que l’on imagine moins facilement c’est que ce besoin vital de conquête du pouvoir se justifie aussi par un besoin impérieux de trouver de l’argent. Ce n’est pas la première fois qu’il est confronté à des difficultés financières, mais il n’a jamais atteint un point aussi critique, il n’a jamais connu une telle détresse.

    Il s’endette, en effet, depuis des mois et des mois pour financer son "cabinet" dont il ne peut évidemment pas se passer sauf de renoncer à jouer son rôle à l’Assemblée. Le nombre de ses discours est devenu si impressionnant qu’il a déjà bien du mal à rajouter sa "griffe" aux textes qu’on lui prépare. Comment trouverait-il le temps de rassembler les éléments et de les rédiger ?

    Mais les banquiers, même s’ils sont plutôt enclins à ménager Mirabeau compte tenu de sa position,  ne s’embarrassent pas de ces considérations. Au vu du montant des créances, ils ont finalement pris peur et exigé de Mirabeau un remboursement dans un délai d’un mois. Or, il lui est absolument impossible de rembourser puisqu’il n’a pas un sou de côté et qu’il ne dispose, pour tout revenu, que de sa maigre solde de député.  Il a bien fait appel à son ami La Marck et même à La Fayette*, mais le crédit qu’on peut lui accorder est bien insuffisant au regard de la dette que l’on exige de lui à court terme: plus de onze mille livres !...

 

    Impressionné par l’inquiétude visible de Mirabeau, La Fayette* intervient en sa faveur auprès du ministre Montmorin et celui-ci accepte de verser au député d’Aix une avance de cinquante mille Livres. Mais Mirabeau est fier et obstiné. La générosité du ministre lui semble pour le moins suspecte; il n’est pas question pour lui de se vendre au premier venu, surtout à un prix aussi bas !.. Celui qui voudra acheter Mirabeau devra soit y mettre beaucoup plus de cinquante mille livres soit prendre des engagements que le ministre s’est bien gardé de prendre. Aussi refuse-t-il la somme accordée par Montmorin, à moins, précise-t-il, qu’on ne lui accorde une fonction importante qui justifierait de tels émoluments... Il ne s’attendait guère à ce que l’on accepte sa proposition, et pourtant l’affaire est alors conclue, au moins sur le principe. On parle d’une ambassade; en Hollande, par exemple, solution qui permettrait à Mirabeau de passer encore beaucoup de temps à Paris. Puis on évoque Londres pour finalement décider que ce serait Constantinople. La reine, en personne, a probablement été à l’origine de cette décision. L’entrée de Mirabeau au conseil du Roi lui semble toujours une hypothèse invraisemblable et, puisque le personnage réclame un poste, elle a suggéré que l’on profite de l’occasion pour l’éloigner de la capitale !...

    Mirabeau, évidemment, refuse cet exil et se lance de plus belle à la conquête du pouvoir par l’intermédiaire de l’Assemblée nationale. Il n’a maintenant plus beaucoup de choix, il lui faut gagner, et vite; sinon, il risque de tout perdre dans un beau scandale financier qui détruira son image de façon définitive.

 

    Presque tous les jours on entend donc Mirabeau à la tribune de l’Assemblée. A tel point que bon nombre de députés, amis ou opposants, attendent maintenant pour se faire une opinion que le tribun ait exprimée la sienne et développé son argumentation.

    Le 28 Octobre, il demande que l’on abolisse le cens électoral; l’après-midi du même jour, il appuie la motion de Talleyrand, avec lequel on se souvient il est toujours fâché, proposant que la nation réquisitionne les biens du clergé. Cette idée, vraiment révolutionnaire, lancée par l’évêque d’Autun, va faire son chemin. Mirabeau, dont on connaît le sens politique, la saisit au bond car il comprend, tout de suite, qu’elle va être au centre d’un débat important. Le 30 octobre, il lit à la tribune un discours sur ce thème qu’il a soigneusement préparé :

 

«  Messieurs, j’ai l’honneur de vous déclarer, pour le reste de ma vie entière, que j’examinerai toujours si le principe est juste ou injuste. La première nécessité imposée aux représentants de la nation est d’examiner si la proposition est juste ou injuste sans examiner le déluge des inconvénients que l’on nous fait entrevoir.

« Lorsqu’une grande nation est assemblée, et qu’elle examine une question qui intéresse une grande partie de ses membres, une classe entière de la société, et une classe infiniment respectable; lorsque cette question parait tenir tout à la fois aux règles inviolables de la propriété, au culte public, à l’ordre politique, et aux premiers fondements de l’ordre social, il importe de la traiter avec une religieuse lenteur, de la discuter avec une scrupuleuse sagesse (..)

«  La question de la propriété des biens du clergé est certainement de ce nombre. Une foule de membres l’ont déjà discutée avec une solennité digne de son importance (..)

«  Les uns ne l’ont considérée que relativement à l’intérêt public; mais ce motif, quelque grand qu’il puisse être, ne suffirait pas pour décréter que les biens du clergé appartiennent à la nation, si l’on devait par là violer les propriétés d’une grande partie de ses membres (..)

«  Les autres ont parlé de l’influence qu’aurait sur le crédit public le décret qui vous a été proposé, de l’immense hypothèque qu’il offrirait aux créanciers de l’Etat (..) mais gardez-vous encore, Messieurs, de penser que ce motif fût suffisant, si la déclaration que l’on vous propose n’était destinée qu’à sanctionner une usurpation (..)

«  Enfin, d’autres ont discuté la même question, en distinguant différentes classes de biens ecclésiastiques; ils ont tâché de montrer qu’il n’est aucune espèce de ces biens, à laquelle le nom de propriété puisse convenir (..)

«  En effet, Messieurs, qu’est-ce que la propriété en général ? C’est le droit que tous ont donné à un seul de posséder exclusivement une chose à laquelle, dans l’état naturel, tous avaient un droit égal; et d’après cette définition générale, qu’est-ce qu’une propriété particulière ? C’est un bien acquis en vertu des lois..

«  Oui, Messieurs, c’est la loi seule qui constitue la propriété, parce qu’il n’y a que la volonté publique qui puisse opérer la renonciation de tous, et donner un titre comme un garant de la jouissance d’un seul.

«  Si l’on se place hors la loi que découvre-t-on ?

«  Ou tous possèdent, et dès lors rien n’étant propre à un seul, il n’y a point de propriété.

«  Ou il y a usurpation, et l’usurpation n’est pas un titre.

«  Ou la possession n’est que physique et matérielle, si l’on peut s’exprimer ainsi; et dans ce cas, aucune loi ne garantissant une telle possession, on ne saurait la considérer comme une propriété civile.

«  Telles sont, Messieurs, les fondations ecclésiastiques. Aucune loi nationale n’a constitué le clergé en corps permanent de l’Etat. Aucune loi n’a privé la nation du droit d’examiner s’il convient que les ministres de la religion forment une agrégation politique, existant par elle-même, capable d’acquérir et de posséder.

« Or, de là naissent encore deux conséquences. La première, c’est que le clergé, en acceptant ces fondations, a dû s’attendre que la nation pourrait un jour détruire cette existence commune et politique, sans laquelle il ne peut  rien posséder. La seconde, c’est que tout fondateur a dû prévoir également qu’il ne pouvait nuire au droit de la nation; que la collection des officiers du culte n’aurait plus alors ni propriété distincte, ni administration séparée, et qu’aussi aucune loi ne garantissait la perpétuité des fondations dans la forme précise qu’elles étaient établies.

« Prenez garde, Messieurs, que si vous n’admettiez pas les principes, tous vos décrets sur les biens de la noblesse, sur la contribution proportionnelle, et sur l’abolition de ses privilèges, ne seraient que de vaines lois (..)

«  Si vous pensez que les fondateurs, c’est à dire de simples citoyens, en donnant leurs biens au clergé, et le clergé, en les recevant, ont pu créer un corps dans l’Etat (..) alors respectez la propriété du clergé; le décret que je propose y porterait atteinte.

«  Mais si, malgré les fondations particulières, la nation est restée dans tous ses droits, si vous pouvez déclarer que le clergé n’est pas un ordre, que le clergé n’est pas un corps, que le clergé, dans une nation bien organisée, ne doit pas être propriétaire, il suit de là que sa possession n’était que précaire et momentanée; que ses biens n’ont jamais été une véritable propriété; qu’en les acceptant des fondateurs, c’est pour la religion, les pauvres et le service des autels qu’il les a reçus; et que l’intention de ceux qui ont donné les biens à l’Eglise ne sera pas trompée, puisqu’ils ont dû prévoir que l’administration de ces biens passerait en d’autres mains si la nation rentrait dans ses droits (..)

«  Je dirais : jamais le corps de la marine ne s’est approprié les vaisseaux que les peuples ont fait construire pour la défense de l’Etat; jamais, dans nos mœurs actuelles, une armée ne partagera entre les soldats les pays qu’elle aura conquis. Serait-il vrai du clergé seul que des conquêtes, faites par sa piété sur celle des fidèles, doivent lui appartenir et rester inviolables ?...

«  Je demanderais si, pour l’intérêt même de la religion et de la morale publique, ces deux bienfaitrices du genre humain, il n’importe pas qu’une distribution égale des biens de l’Eglise s’oppose désormais au luxe de ceux qui ne sont que les dispensateurs des biens des pauvres, à la licence de ceux que la religion et la société présentent au peuple comme un exemple toujours vivant de la pureté des mœurs (..)

«  Je reviens maintenant sur mes pas. Qu’ai-je prouvé, Messieurs, par les détails dans lesquels je suis entré ?

«  Mon objet n’a  point été de montrer que le clergé dût être dépouillé de ses biens (..)

«  Je n’ai pas non plus entendu soutenir que les créanciers de l’Etat dussent être payés par les biens du clergé, puisqu’il n’y a pas de dette plus sacrée que les frais du culte, l’entretien des temples, et les aumônes des pauvres.

«  Je n’ai pas voulu dire non plus qu’il fallût priver les ecclésiastiques de l’administration de leurs biens et des revenus dont le produit doit leur être assuré. Eh ! Quel intérêt aurions-nous à substituer les agents du fisc à des économes fidèles, et des mains toujours pures à des mains si souvent suspectes ?

«  Qu’ai-je donc, Messieurs, voulu montrer ? Une seule chose : c’est qu’il est, et qu’il doit être de principe, que toute nation est seule véritable propriétaire des biens de son clergé. Je ne vous ai demandé que de consacrer ce principe, parce que ce sont les erreurs ou les vérités qui perdent ou qui sauvent les nations. Mais en même temps, afin que personne ne pût douter de la générosité de la nation française envers la portion la plus nécessaire et la plus respectée de ses membres, j’ai demandé qu’il fût décrété qu’aucun curé, même ceux des campagnes, n’aurait moins de douze cents livres. » (1)

 

    Le discours de Mirabeau est fort habile : il se contente de prendre position extrêmement fermement sur le principe en laissant planer le doute sur la destination des biens du clergé.

    Au-delà des principes évoqués par Mirabeau, c’est bien de l’existence même de l’ordre du clergé dont il est question. Il n’est donc pas étonnant que le débat soit très acharné. Le député d’Aix tire de leur silence de nombreux contradicteurs, et même quelques adversaires, dont certains, comme l’abbé Maury (2), se montrent particulièrement déterminés.

    Pour répondre point par point à ses opposants Mirabeau prépare un second discours dans lequel il réfute tous les arguments présentés contre son point de vue. Il n’aura pas le loisir de le lire à la tribune, le 2 Novembre, comme il l’avait prévu, car un texte reprenant l’esprit de sa motion aura été adopté entre temps.

 

    Le 3 Novembre, il intervient à nouveau à propos de la question du découpage du territoire français en départements. Mirabeau demande que l’on respecte les anciennes limites de provinces et sa motion est adoptée.

 

    Le 5, il fait voter, à une large majorité, une motion dénonçant les abus de l’ancienne justice criminelle.

    On comprend aisément que Mirabeau a de plus en plus besoin d’aide pour réunir les éléments et préparer ses interventions à la tribune sur des sujets aussi éclectiques.
 

    L’Assemblée nationale semble suivre Mirabeau dans toutes les circonstances et c’est sans doute ce qui l’incite à penser que le moment est venu de passer "aux choses sérieuses".

 

 

 

 

 

 

 

(1)   Archives Parlementaires  t. IX, pages 607 à 609

in François FURET et Ran HALEVI  " Orateurs de la Révolution française"   op. cit. Vol 1, pages 692 à 700

 

(2)   Abbé MAURY (Jean Siffrein) : Né à Valréas le 26 Juin 1746. Ecrivain et prédicateur de talent, l'Abbé Maury est très bien vu à la Cour et entre même à l'Académie française en 1785.

Il se fait élire aux Etats Généraux et défend, avec beaucoup de talent, là aussi, les prérogatives royales ce qui lui vaut de devoir émigrer après la dissolution de l'Assemblée Constituante.

Le Pape le fera Cardinal avant qu'il ne se rallie à l'Empereur et qu'il ne prenne parti pour Napoléon contre Pie VII. Rejeté par Louis XVIII, il ira demander pardon au Pape mais sera emprisonné à Rome. Il mourra dans cette ville le 11 Mai 1817.

 

 

 

ILLUSTRATION : Jean Siffrein Maury

 

 

 

 

 

A SUIVRE

 

 

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : MIRABEAU (45)

LA CARRIERE POLITIQUE DE MIRABEAU EST BRISEE : NOVEMBRE 1789

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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